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Armance, femme, médecin (et mère) de famille

La satisfaction de la semaine.

Ca fait cinq ans qu'on se connait, et ça a été souvent une putain de galère.

Dès le début, les premières fois que ta mère t'a amené, ça a été chaud.

Tu commençais à hurler quand elle te posait sur la table d'examen pour de déshabiller. Elle assurait, avec un grand sourire, comme pour s'excuser:

- C'est toujours comme ça avec le médecin, et avec la sage-femme, aussi.

On aurait dit qu'il était convenu pour elle qu'un enfant, chez le toubib, ça hurle. J'ai essayé de savoir si tu hurlais comme ça aussi chez toi, mais ta mère restait évasive:

- Les bébés, ça pleure, c'est comme ça.

J'ai essayé de savoir si elle ou ton père étaient parfois importunés par les pleurs que tu faisais peut-être, mais elle répondait simplement:

- Nooon. On fait avec.

J'essayais de te parler doucement avant de t'examiner pour te calmer, et elle intervenait:

- Mais ils ne comprennent pas encore ce qu'on dit, à cet âge, non?

Je lui expliquais que tu ne comprenais probablement pas les mots, mais que tu étais sensibles aux intonations, aux intentions, aux ambiances

Elle est restée dubitative, malgré mes démonstrations de poursuite oculaire et de batailles de vocalises. Je lui disais un truc que personne dans son entourage ne lui avait dit avant. Parce qu'au fond, que vaut ma parole face aux conseils de la voisine, de la belle-mère, de la cousine? Je te vois une demi-heure de temps en temps, mais je ne suis pas là quand tu manges, quand tu joues et quand tu dors. Alors j'ai le beau rôle, à ses yeux, de donner des conseils.

Je dois avouer que je n'ai jamais vraiment osé lui dire en face, mais j'ai souvent eu l'impression qu'elle faisait tout ce qu'il fallait éviter si je voulais parvenir à t'examiner dans le calme.

Elle ne faisait pas exprès. Je crois qu'au fond d'elle, c'était une torture de t'amener, de te voir hurler et te débattre. Il suffisait que je me retourne pour attraper mon otoscope, et je te retrouvais sur son épaule. Je demandais en plaisantant comment tu faisais pour monter si haut et si vite, alors que tu tenais à peine assis, et elle répondait en souriant:

- Il est rapide!

Mais jamais elle te tenait fermement lorsque j'essayais de voir ton fond de gorge. Ce que j'arrive à faire avec tous les autres en un petit quart de seconde se transformait en une épreuve interminable.

A un an, tu m'as gratifiée d'une pesée-rodéo.

Je n'ai pas réussi à croiser ton regard avant de t'attraper pour te mettre sur la balance, tellement tu t'agrippais au giron maternel. Je n'ai même pas pu te tourner vers moi avant de te prendre, et je déteste ça. Tu t'es mis à gesticuler en hurlant dès que je t'ai pris sous les aisselles, et je n'ai pas réussi à te regarder dans le yeux avant de te poser sur le plateau. J'ai demandé à ta mère de se reculer un peu pour ne pas te laisser entrevoir la possibilité de sauter dans ses bras, mais je n'ai pas eu le temps de finir ma phrase, elle a disparu de l'autre côté du bureau pour aller chercher une couche propre. Tu es passé des sanglots à la lutte acharnée, envoyant valser la balance avec tes pieds, et je te comprends, à ta place, j'aurais peut-être fait pareil en la voyant s'en aller.

Lorsque tu étais malade, elle s'appliquait à t'amener tout fébrile, pour me montrer à quel point tu étais pas bien. Il a fallu plusieurs explications pour qu'elle ose te donner de quoi faire baisser ta fièvre avant de venir, jusqu'à ce que je la rassure en lui disant que si elle m'expliquait que tu avais de la fièvre quelques heures avant, je la croirais, même si le paracétamol l'avait faite disparaître et si tu étais mieux.

Elle a accepté de te donner un médicament pour baisser la fièvre avant de venir.

On a fait un grand pas, parce que déjà en forme, il fallait que je retrousse mes manches pour te palper le ventre, mais avec quarante degrés de température, je n'ai jamais eu la sensation de t'examiner humainement.

J'ai vu ton père la première fois quand tu avais la gastro.

Mon problème à moi, c'était de vérifier si tu étais déshydraté, parce que ta mère disait:

- Il veut rien manger, il veut pas boire, il veut pas prendre les médicaments.

Le problème de ton père était différent:

- Il dégueule sans arrêt et il chie tout le temps. Il a le cul rouge et du coup il pleure toute la nuit. On peut pas faire quelque chose pour que ça s'arrête?

J'avais beau expliquer la réhydratation orale, je me retrouvais face à un mur:

- Nan mais vous comprenez pas: le gosse, il a la courante, plus on lui met de l'eau plus il remplit les couches! Il veut pas prendre de médicament, vous avez pas des suppos contre la diarrhée? Même s'il a le cul rouge, tant, pis, ça peut pas continuer comme ça! Qu'est-ce qu'on va devenir?

J'ai parlementé, rassuré, en demandant au passage si ça lui arrivait de se sentir excédé par toi. Il m'a dit que non, quand il est fatigué, il envoie ta mère, et que là, il est fatigué, et elle aussi. Il a insisté pour avoir quand même des suppos contre la diarrhée.

Tu en auras eu, des suppos, et bien malgré moi. Depuis tout petit, à chaque ordonnance, ta mère me reprend:

- Mettez en suppo, le sirop, il veut pas, et en suppo, on est sûr qu'il l'a pris.

J'ai essayé d'expliquer comment faire pour donner le sirop en glissant la pipette dans la joue, mais elle n'a jamais voulu essayer. Le suppo, pour elle, c'est la seule solution possible. J'ai risqué une fois une petite question:

- Il les accepte?

- Ah nan, mais je sais comment le tenir, que la pipette dans la bouche, j'y arrive pas.

Je me suis souvent demandée si ces suppos systématiques administrés avec tant de fermeté ne s'apparentaient pas à une sorte de viol socialement admis.

Mais au fond, ils ne sont pas méchants, tes parents. Ils veulent prendre soin de toi, ils te nourrissent, te lavent, t'aiment, t'emmènent te soigner, mais ils ne savent pas trop comment s'y prendre. Ils ont peur que tu sois malheureux, et en voulant faire bien, ils font souvent les choses à l'envers.

Quand j'arrivais enfin à te calmer avant de t'examiner en te parlant en chuchotant, ton père balançait tout haut avec sa grosse voix:

- Ben tu vois! 'Faut pas pleurer comme ça! Elle va rien te faire!

Et hop, c'était reparti pour un tour...

C'est pas de leur faute, ils sont un peu paumés, un peu gauches, on dirait qu'ils n'ont pas appris. On aurait dit qu'ils avaient peur de te casser quand tu étais tout petit. Je voyais bien que ta Maman ne te faisait jamais de lavage de nez. Elle avait peur de te noyer au début. Et ensuite, elle affirmait que tu ne voulais pas. C'est vrai que c'est un peu barbare au premier abord, mais tu finissais par prendre ton pouce et te calmer une fois le nez débouché sur ma table. Ta Maman insistait:

- Avec vous, ça marche bien.

Mais je n'allais pas lui faire tous les jours. Je me disais que celui que j'avais fait avant de t'ausculter, c'était toujours celui-là de pris.

Alors évidemment, en me voyant te chercher dans la salle d'attente, tu devais certainement voir arriver une grosse seringue ou une grosse fiole de sérum physiologique.

Comment t'apprendre à te laisser examiner calmement si, une fois que tes parents font ce qu'il faut pour te préparer, tu encaisses à chaque fois un vaccin ou un lavage de nez?

Ta mère est venue me voir la semaine dernière pour le suivi de sa grossesse.

Dans la même phrase, elle m'a demandé quand elle devait t'expliquer la situation et elle m'a dit que tu faisais beaucoup de caprices en ce moment et qu'elle ne savait plus trop comment faire.

Elle était de nouveau très dubitative quand je lui ai simplement suggéré de te dire les choses en face.

- Et ça va arrêter les caprices?

Elle a aussi raison: c'est pas si simple que ça.

Mais on pourrait commencer par là.

Alors ce matin, quand elle t'a amené, que tu t'es assis sans pleurer sur la table d'examen et que, pour la toute première fois, tu as planté ton regard bleu clair dans le mien, tu as éclairé ma journée.

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T
Ce témoignage est inquiétant mais rassurant car au final, ce bambin est plus serein. L'attitude des parents laisse à désirer mais il est difficile de juger un quotidien qui n'est pas le notre.
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H
Alors là je m'insurge contre les propos sur les suppositoires ! Je suis une maman bienveillante et jamais je ne préférerais les suppositoires si je voyais que cela déplaisait à mon enfant, mais il y a des cas où les enfants préfèrent vraiment le suppo à la voie orale. <br /> Avec la fille, depuis qu'elle est bébé, il est très difficile de faire passer les médicaments par voie orale : elle déteste souvent les goûts et textures, et depuis toujours se bloque, se cabre, bloque sa gorge au point de se faire vomir. Je peux vous dire qu'après quarante-cinq minutes de hurlements pour faire avaler un antibio à la pipette millimètre par millimètre, dont deux vomis qui lui ont fait rendre son dîner au complet, les parents comme l'enfant épuisés préféreraient qu'il existe en suppositoire ! <br /> Par contre, pour les suppos, ma fille ne s'est jamais plainte et n'a jamais montré le moindre signe de mécontentement : allongé sur le côté, quand on explique bien les choses, cela peut s'administrer sans problème. C'est évidemment toujours une question de respect du corps : il ne faut pas que ce soit de force et douloureux comme dans le cas de l'enfant dont vous parlez bien sûr. Ma fille a trois ans et dès qu'elle sera suffisamment grande, nous lui apprendrons à administrer toute seule les suppositoires si besoin, comme le font les adultes. Il ne faut pas généraliser avec des jugements négatifs, tout dépend de l'approche des parents dans l'éducation au respect de soi et de son corps.
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G
C'est étrange cette diversité des attitudes de parents! Qui parle d'instinct maternel? <br /> Avril à juin, c"est long!
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P
"Je me suis souvent demandée si ces suppos systématiques administrés avec tant de fermeté ne s'apparentaient pas à une sorte de viol socialement admis".<br /> <br /> Merci pour ces mots. Car j'en suis aujourd'hui persuadée.
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L
Malheureusement, ce que font ces parents, c'est une forme de maltraitance.
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