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Armance, femme, médecin (et mère) de famille

Encore un machin...

Parmi tous les jeunes qui sont venus me voir hier motivés par l'obtention d'un certificat de "non contre-indication à la pratique sportive", un est venu avec une requête particulière.

Comme beaucoup de mes semblables, je déteste le raz-de-marée de consultations pseudo-urgentes du mois de septembre, avec son cortège de pinaillage sur les priorités, les rendez-vous, les libellés des certificats: me voilà prise en faute parce que je refuse une consultation en nocturne une veille de championnat, parce que je n'ai pas écrit "yoseikan budo" sans faire de faute d'orthographe, parce que j'ai oublié d'écrire "en compétition" après "non contre-indication au baby-judo".

Les patients ne sont pas les seuls responsables de cette désorganisation temporaire de notre travail: la pression est induite par les dirigeants de clubs et présidents d'association, qui eux-même craignent de ne pas être en règle avec leurs assureurs...

Autant je déteste le contexte dans lequel on les fait en septembre, autant, ces consultations, j'aime les faire.

Une fois par an, je vois les enfants sans qu'ils n'aient de pathologie particulière, et je leur pose directement la question à eux: "et toi, y a-t-il quelque chose dont tu veuilles me parler?", car, le reste du temps, ils viennent avec un ou deux parents qui entament la consultation par "je vous l'amène parce qu'il a...".

Ces consultations sont répétitives, à la fin de la journée, je ne sais plus qui pèse combien et qui y voit comment de loin, mais elles nous permettent de faire tout ce qu'on n'a pas le temps de faire le reste de l'année.

Lors de ma formation en pédiatrie, à propos des tumeurs abdominales de l'enfant, j'avais eu un sujet type "cas clinique" dont j'avais trouvé la première question étrange:

"Vous voyez en consultation la petite L, âgées de six ans et demie, pour un vaccin. En l'examinant, vous détectez une masse abdominale volumineuse, souple, bien limitée et indolore. Question1: Etes-vous fier?"

La réponse attendue par le formateur était en gros: "oui, je suis satisfaite d'avoir détecté un truc qui ne parle pas encore mais potentiellement très grave si on le laisse traîner, alors que la gamine va bien et qu'elle vient pour un motif banal: j'ai fait mon job en l'examinant même si elle ne se plaint de rien". A cette réponse, le formateur avait ajouté un commentaire: "on ne vous reprochera jamais d'avoir examiné".

Depuis que j'ai expliqué aux patients qui viennent régulièrement me voir que je considère la consultation "pour le certificat de sport" comme consultation annuelle de prévention, ceux qui adhèrent à l'idée s'arrangent pour venir aux heures tranquilles des vacances d'été pour éviter de cumuler le stress de la rentrée scolaire. Finalement, je trouve plus gratifiant de les entendre dire "on vient pour la visite annuelle, et on a aussi les licences à signer" que "je viens pour faire tamponner la licence" ou même, comme je l'ai entendu une fois cette année: "j'amène la petite pour la consult-tiroir-caisse".

Comme la sédentarité est un facteur de risque, je ne jette pas mon dévolu que sur les enfants qui font du sport. De juin à septembre, je passe à la moulinette aussi ceux qui n'en font pas, que les parents les amènent pour une visite de prévention ou pour un autre motif.

A chaque âge ses axes de prévention, je ne recherche pas les mêmes choses à six, dix quinze ou quarante ans. Là où beaucoup d'enfants vont globalement bien, car je n'exerce pas du tout dans une zone défavorisée, certains parents se disent que puisque leur enfant va bien, ils sont peut-être venus pour rien. Mais j'ai la satisfaction (et non la joie) de détecter tous les ans quelques caries, des ados au dos pas-dans-l'axe, des courbes de croissance qui s'emballent, des jeunes qui ne voient pas bien de loin, des jeunes qui auraient envie d'une contraception mais qui reviendront seules ou iront au planning familial. Je remets à jour des carnets de vaccination. Il est fréquent que les enfants eux-mêmes profitent du moment pour poser des questions sur eux, sur leur corps, ce qu'ils font rarement le reste du temps. N'en déplaise à certains pédiatres, ça fait partie de mon job, et je le fais, parce que je le trouve utile et intéressant.

C'est avec émotion et peut-être un petit coup de vieux que je vois les bébés que j'ai suivis à ma première année d'installation rentrer maintenant en CM1, parce que oui, je me préoccupe aussi du bien-être scolaire de mes patients.

Donc, hier, j'ai reçu en consultation un djeun's qui venait pour "faire la visite pour le sport et tamponner la licence, et aussi pour avoir le truc des cinquante euros". Il me tend un prospectus édité par la MSA, intitulé "Instants Santé Jeunes".

En gros, l'opération consiste à inciter les jeunes à consulter un médecin pour un acte de prévention, en lui offrant un bon équivalent à cinquante euros à valoir sur une inscription à une activité physique (carotte). L'acte est gratuit pour le jeune (carotte), et rémunéré directement par la caisse au médecin sur la base de la valeur de deux consultations et demie (carotte). Le jeune vient en consultation avec un dossier qu'il a rempli, comportant globalement les mêmes questions que celles que j'aurais posées (problèmes médicaux, sociaux, scolaires, conduites à risque), et deux volets que je dois remplir avec les mêmes informations auxquelles je dois ajouter les antécédents et quelques éléments de l'examen clinique.

J'ai donc fait ma consultation comme d'habitude. Le principal problème qui est ressorti est qu'il n'y a pas de planning familial dans le bled où sa copine fait ses études, et qu'il aurait aimé aller y consulter avec elle pour poser des questions. Il viendra peut-être plus tard me voir avec elle.

Au total, il est venu chercher un bon de réduction, j'ai tout posé les questions comme la caisse m'a dit de les poser sur le papier, puis j'ai passé un moment le nez dans le dossier à remplir pour cocher les bonnes cases au lieu de le regarder dans les yeux comme on fait quand on parle normalement à quelqu'un, j'ai tout signé et tamponné ce qu'il fallait au bon endroit, mis les bons numéros dans les bonnes cases pour qu'il reçoive son bon et que je sois aussi payée par la caisse qui, soit dit en passant, considère que cet acte de prévention vaut deux fois et demie les autres, alors je me questionne sur ce que valent les autres consultations de prévention identiques mais que je facture au tarif légal.

On va avoir chacun notre carotte en faisant ce qu'on faisait déjà, mais mot à mot comme la caisse elle a dit et en cochant bien les cases sur les papiers.

Elle est pas belle, la vie?

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P
Merci pour ce billet très instructif. Je rejoins l'avis de &quot;Docilli&quot;, les informations médicales du patient non rien à faire sur le bureau de la secrétaire. <br /> Bref on croit rêver.
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G
Ca ne me choque pas qu'une caisse incite les jeunes à faire une visite de prévention, et reconnaisse le boulot du médecin qui prend du temps et qui est sous payé à 23€.<br /> On fait bien des visites à 9 mois et 24 mois, pourquoi pas une à 6 ans, 11 ans, 16 ans, complète, pour tous, et qui vaudrait pour le sport?
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A
Là, je suis entièrement d'accord avec vous: un visite régulière pour tous, complète, qui comprenne l'établissement du certificat est la solution la plus appropriée et égalitaire pour les patients.<br /> Ce qui est contrariant, c'est la désorganisation ambiante, et le fait que nous soyons pris entre des injonctions pas toutes cohérentes entre elles:<br /> - les assureurs des fédérations disent: &quot;on veut des certificats&quot;.<br /> - le conseil de l'ordre dit: &quot;ne rédigez pas sans voir&quot;.<br /> - La CPAM dit: &quot;cet acte n'est pas remboursable&quot;.<br /> - Les médecins disent: &quot;il n'a pas de sens, rendons-le utile et faisons-en un acte de prévention, potentiellement remboursable&quot;.<br /> - La MSA dit: &quot;cet acte vaut deux fois les autres, j'incite mes assurés sportifs à le faire, sachant qu'ils l'auraient fait de toutes façons pour obtenir leur licence&quot;
D
Bonjour,<br /> Je viens de voir passer ce bon et je n'ai même pas compris qu'il y avait une histoire de sous à récupérer pour le jeune. Je refuse de remplir ces actes pour des raisons de protection du secret médical. Ces informations n'ont pas à traîner sur le bureau de la secrétaire de la MSA( aucune confidentialité sur les données médicales )
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M
&quot;Consult tiroir caisse&quot; !<br /> On m la jamais faite celle là.<br /> Viré direct sans sommation
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D
Et sinon, merci pour ce blog, et ce n'est que mon avis ;-)