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Armance, femme, médecin (et mère) de famille

Participez au concours de l'été!

Cette semaine, à l'occasion de la sortie prochaine du film de Thomas Lilti "Hippocrate", @docteurmilie propose sur son blog un concours de l'été. Il s'agit de raconter (à la rubrique commentaires de son blog) un premier jour de stage ou de travail, que l'on soit médecin ou non, tout le monde est invité à participer.

Je vais apporter ma petite pierre à l'édifice, en conseillant aux lecteurs de se rendre ensuite aux commentaires du billet de ma consoeur pour lire les autres récits, et pourquoi pas apporter votre expérience.

Avant-même d'être reçue en deuxième année et de faire officiellement mon entrée comme stagiaire dans un hôpital, j'avais déjà eu une « première fois ».
Après mon échec au concours de première année, un de mes oncles m'a proposé de venir le rejoindre et le suivre partout dans son travail dans la petite clinique où il travaillait comme anesthésiste.
Dans mon esprit tout frais, je ne me destinais pas à une spécialité de bloc, mais après tout, je ne connaissais rien de cet univers, et si je voulais vraiment « faire médecine », je savais que j'en passerais par là de toutes façons, alors j'ai dit banco.
Mon intrusion dans le monde médical avait commencé la veille par une rapide présentation des services de la clinique, des personnages-clefs, une visite aux patients du lendemain, bien cachée derrière la blouse de mon guide, et une lecture en direct d'un électro-cardiogramme à laquelle je n'avais rien compris : du cœur, je ne connaissais que des schémas anatomiques.
Donc me voilà un matin très tôt devant une grande porte à battants garnie de ces mots magiques : " bloc opératoire " surmontés de cette mention solennelle : " accès interdit à toute personne étrangère au service".
Inscrite en fac de médecine, pas reçue au concours, mais réinscrite avec beaucoup d'espoir, me voilà devenue sans réel statut une personne peut-être plus si étrangère au service, et par là donc un peu autorisée à pénétrer ce lieu que je ne connaissais encore qu'au cinéma.
Premier choc : je vais devoir me séparer de mon mentor pendant quelques minutes, le temps de passer chacun dans un vestiaire, lui dans celui des hommes, moi dans celui des femmes, pour revêtir une tenue. Je passe timidement la porte en priant pour bien le retrouver de l'autre côté. J'ai la sensation de rentrer dans le centre de la terre, dans ce petit cube appelé "bloc", niché au cœur de ce grand bâtiment. Je fais tout comme on m'a dit : pyjama bleu, sur chaussures en papier, calot dans lequel j'essaie de bourrer tous les cheveux.
A mon grand soulagement, je retrouve mon guide à ma sortie. Je suis sur une autre planète : il fait froid, on entends en fond le discret vrombissement des néons et de l'air conditionné, tout est bleu partout, et je vois circuler en tous sens et d'un pas décidé des individus tout habillés et coiffés à l'identique.

- Viens, on y va, tu me suis. Je suis à l'ORL, cette semaine. Avec mon associé, on tourne, on fait pour une spécialité différente chaque semaine. La semaine prochaine, tu verras l'ortho, après le digestif et l'uro, et après le vasculaire.

Au passage, il me présente successivement plein de gens, qui me saluent tous aimablement, mais je n'en différencie aucun : tous ont le même pyjama bleu, le même calot et un masque. Je réunis toute ma concentration pour mémoriser les noms et les accorder avec les regards, repérer les lieux où nous circulons, mais je suis vite débordée, alors je n'ai comme solution que de coller au plus près à mon guide.
Je regarde la chirurgien se laver les main, pendant qu'il m'explique les règles d'asepsie de base, et m'indique en gros les zones où je peux me tenir, les choses que je peux toucher, et celle dont je ne dois surtout pas m'approcher.
Tout n'est pas clair dans mon esprit, les informations se bousculent, alors je prends le parti de me faire transparente dans un coin de salle : je suis plaquée contre le mur pour éviter tout faute, et j'observe.
Le chirurgien entre en poussant du dos la porte à battants, ses mains mouillées devant lui tournées vers le haut, et se les essuie en discutant tranquillement avec mon oncle.
Au cinéma, l'atmosphère du bloc est toujours dramatique, sérieuse, un brin militaire, et je me trouve juste avant une intervention au milieu de gens qui paraissent normaux, avec des conversations banales. Ce lieu n'est peut-être pas si terrible, au fond. Il est peut-être même possible que, comme dans M.A.S.H., on y rigole de temps en temps, j'ose y croire, mais je suis surprise.
Un enfant et installé sur la table. Il est calme. Mon oncle tient un masque sur son visage, et l'enfant ferme les yeux. Il est éclairé par le scialytique, ce qui donne l'impression que c'est lui qui émet un rayonnement lumineux, tant le reste de la salle paraît sombre.
Le chirurgien continue à parler de tout et de rien à haute voix pendant qu'une infirmière placée derrière lui l'aide à passer une grande tenue stérile.
Tout en parlant, il s'assied sur un tabouret, et une infirmière lui tend un drap qu'il déplie et tend face à lui. Une autre infirmière postée derrière attrape les coins du tissu et les lui noue autour du cou, comme une immense serviette de table.
Occupée à observer ces gestes, je n'ai pas vu comment l'aide du chirurgien s'est retrouvée sur un tabouret en face de lui avec l'enfant encore endormi assis sur ses genoux.
Tout en continuant sa conversation, le chirurgien s'est installé une bassine sur les genoux.
Mon oncle le coupe:
- Là, on va faire des amygdales. Tu vas voir, c'est rien, c'est très rapide. Après tu verras des trucs plus intéressants.
Le chirurgien de la voix ferme ajoute:
- Ouais, ça, c'est vite fait et c'est pas passionnant. La chirurgie ORL, c'est assez intimiste. J'essaierai de te montrer des trucs mieux tout à l'heure.
Tout en parlant, il a empoigné une longue pince au bout arrondit.
Brutalement, tous se taisent.
D'un geste rapide et franc, le chirurgien bloque un écarteur dans la bouche de l'enfant qui est toujours en face de lui, sur les genoux de l'infirmière, et introduit puis sort rapidement la pince dans sa gorge.
L'infirmière bascule en avant la tête de l'enfant au dessus de la bassine.
Celui-ci se met à tousser, râler et pleurer en laissant échapper un flot de sang.
- On fait ça juste avant le réveil, pour pas qu'il inhale.
La salle se remplit brusquement d'un épais nuage blanc. Le bourdonnement de l'air conditionné s'amplifie. Je me tourne, le nuage s'assombrit, et deux mains empoignent mes bras. Je ne sais pas pourquoi je ne réagis pas, j'entends un rire goguenard:
- Elle a tenu pas mal de temps, quand même!
Lorsque le nuage se dissipe, je suis couchée sur le brancard du patient, et tous me regardent en rigolant:
- Et voilà: baptisée!

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