20 Mars 2013
La publication récente et quasi simultanée de textes en forme de cri d'alarme, notamment sur les blogs de Borée, Genou des Alpages, Docadrénaline, SommatinoRoots met en relief les terribles difficultés qu'éprouvent les médecins à exercer leur métier.
Leur publication a fait grand remous parmi les lecteurs de blogs médicaux, médecins utilisateurs de Twitter, mais aussi parmi les lecteurs de la presse généraliste sur le net, cette dernière ayant relayé l'article de Borée.
Ces article mettent en lumière les écueils que traverse actuellement la pratique médicale dans notre pays: pour l'un, les raisons qui l'ont amené à décider de cesser d'exercer en libéral, pour le second, un contexte qui mène à l'épuisement et pousse à l'erreur médicale, pour la troisième, les difficultés d'articulation des différentes pratiques et de communication entre professionnels de santé, pour le quatrième des interrogations sur l'avenir de notre métier, sur le mépris qu'il nous arrive souvent de ressentir.
Les réactions des lecteurs laissées en commentaires sont pour la plupart élogieuses, montrent un réel soutien, et émanent de professionnels de santé comme de patients. L'article du Blog de borée a reçu bon nombre de réactions violentes sur le site de presse où il a été publié. Cet état de fait reflète bien l'incompréhension mutuelle entre ceux qui se préoccupent du fonctionnement de notre système de santé et ceux qui se préoccupent principalement de son usage.
Ces articles et les réactions à ces articles montrent la réelle difficulté qu'ont les médecins à communiquer en dehors de leur univers.
La pratique médicale en secteur libéral, particulièrement la médecine générale, est en souffrance. Personnellement, lors de mon installation, je ne croyais pas ceux que je considérais comme des oiseaux de mauvais augure qui prédisaient que la médecine générale était moribonde. J'étais moi-même vivante et bien vivante, pleine de projets, je venais de me former pour ce métier, et d'ailleurs, je ne pourrais rien faire d'autre.
Il faut le reconnaître, nous avons la chance d'avoir du travail, ce qui est une bénédiction en temps de crise, mais les conditions d'exercice sont de plus en plus difficiles, que ce soit en libéral ou dans les secteur hospitalier.
Ces quatre textes montrent bien par quels mécanismes les médecins sont poussés progressivement à l'épuisement. Ce phénomène est connu depuis longtemps, mal évalué et mal pris en charge.
Mal évalué parce que notre profession est éminemment divisée. L'un des facteurs bien identifié de souffrance au travail des médecins est l'isolement. Les médecins libéraux sont nombreux, mais exercent dans de très petites structures, et les espaces de communication sont réduits. L'usage des réseaux sociaux est en train de modifier progressivement cette donne, mais concerne encore une part très réduite des médecins libéraux.
D'autre part, la charge de travail considérable laisse peu de temps et d'énergie aux médecins pour échanger dans un autre contexte. Le nombre de médecins syndiqués est ridiculement bas, et concerne ceux qui ont le plus de disponibilité, ce qui ne leur confère finalement pas une réelle représentativité. Un exemple s'est produit récemment dans ma région: les syndicats de médecins ont négocié avec l'Agence Régionale de Santé la présence de régulateurs libéraux au SAMU les veilles de jours fériés pour assurer les ponts. Le problème était que la majorité des médecins qui ont voté ce texte était urbaine, avait pour habitude de fermer les cabinets pour les ponts, étant secondés par SOS-Médecins, et que cinquante et un des cinquante quatre médecins qui régulent dans mon secteur sont ruraux, ne ferment pas leur cabinet pour les ponts, et ne peuvent pas consulter et réguler simultanément.
La nécessité d'une continuité des soins, de l'ouverture permanente d'un cabinet laisse peu de place aux médecins pour diversifier leur activité, et s'immerger dans d'autres contextes que le leur pour rompre l'isolement. Avoir un pied en crèche, en PMI, à l'hôpital ou en maison de retraite permet de varier l'exercice et rompre l'isolement, encore faut-il que ce soit compatible avec le fonctionnement du cabinet. L'incompréhension entre médecins libéraux et salariés s'entretient.
La contrainte financière est elle aussi très lourde. Je ne veux pas, par là, me complaire dans le "vingt-trois euros, c'est pas beaucoup", mais il faut bien pointer le fait que cette contrainte est lourde de conséquence. Nos honoraires sont depuis longtemps évalués plus en fonction de ce que les Caisses peuvent rembourser qu'en fonction de leur réelle valeur. Au-delà du sempiternel "combien vaut une consultation de médecine générale?" et "combien ça doit gagner un médecin?", je constate juste que la combinaison de la règle du paiement à l'acte avec le maintient d'honoraires à un taux bas et des charges qui augmentent aboutit à une dérégulation de notre activité. Nous vivons de notre métier, et, même en temps de crise, on ne voit pas de médecin généraliste dévisser sa plaque pour des raisons purement financières, mais, en revanche, nous vivons dans une instabilité permanente. A la course à l'acte au détriment de la qualité du travail fourni s'opposent les responsabilités légales, et la préservation du sens de notre métier.
Les commentaires laissés sur les sites de presse reflètent bien l'incompréhension qui règne entre les patients et les acteurs de santé, médicaux ou paramédicaux. Dans un monde consumériste, les patients tiennent à "leur" médecin, ou plutôt au service qu'il peut leur apporter, mais surtout à ce qu'ils pensent être leurs droits: droit à être remboursé, droit à avoir une consultation à la demande, à obtenir instantanément ce qu'ils désirent. Cette pression se ressent de plus en plus dans les cabinets, chaque médecin résiste à sa façon, instaure ses règles, mais elle me semble maximale à l'hôpital, particulièrement dans les services d'urgence. A l'inflation d'appels en régulation, on répond par une augmentation du nombre de permanenciers, faute de médecins disponibles, ou à une augmentation du temps d'attente au bout du fil. Aucune action de communication ou d'éducation n'est menée en direction du grand public pour inciter à un usage rationnel des soins. Aux médecins et paramédicaux, libéraux ou salariés, d'éponger comme ils peuvent l'inflation de demandes d'actes, et si possible en faisant le moins de bourde possible et en ne coûtant pas trop cher à la collectivité.
Surcharge de travail, isolement, insécurité financière, perte de sens, incompréhension, parfois mépris, les ingrédients sont réunis pour rendre notre travail difficile à exercer pour les uns, à supporter pour les autres, mes confrères et consoeurs l'ont admirablement décrit.
Ces ingrédients sont aussi, malheureusement, ceux de notre silence et de notre impuissance