13 Novembre 2012
Angélique est assise dans la salle d'attente avec Jules sur les genoux.
Jules, c'est son fils, il a 6 ans.
Angélique se lève, ramasse son blouson et celui de son fils, range quelques voitures qui jonchent le sol et entre dans mon bureau. Elle jette devant elle la casquette qu'elle portait sur la tête, peu féminine, mais dont la visière masque la large cicatrice qui part de son front et court dans ses cheveux.
Elle amène aujourd'hui Jules pour le sacro-saint certificat pour le foot. Elle a laissé passer la rentrée, et attendu malgré l'insistance du responsable du club. Jules est rentré en CP cette année, c'est un peu une victoire, car rien n'est simple.
Elle s'est séparée du papa de Jules il y a 4 ans, il est parti vivre à l'autre bout de la France, alors il "prend" son fils pendant un mois en été.
Il y a 2 ans, Angélique a eu une crise comitiale. Pendant plusieurs minutes, elle était incapable de parler. Elle s'est retrouvée submergée par l'impossibilité de trouver une seul mot. Son médecin l'a adressée à un neurologue, qui a demandé, entre autres choses, une IRM cérébrale. Lorsqu'elle est sortie de cet examen, elle a attendu plus d'une heure qu'on lui donne le cliché. On est venu lui dire que le cliché n'était pas disponible, qu'on ne pouvait A-BSO-LU-MENT rien lui dire, mais qu'elle avait rendez-vous pour une consultation en oncologie le surlendemain.
Elle a donc appris de vive voix deux jours après la nouvelle qu'elle avait comprise et qu'elle redoutait deux jours avant, et on lui a expliqué le déroulement probable des mois suivants, en tous cas pour elle. On lui a dit qu'elle pouvait avoir rendez-vous avec un psychologue, ce qu'elle a refusé: depuis deux jours, elle était sommée de se débrouiller avec elle-même, elle n'attendait de ménagement de personne.
Il lui a fallu s'organiser, gérer l'opération, les soins, l'incertitude, et son fils.
Huit mois après, elle a commencer à émerger doucement, sortir un peu de la maladie, des traitements, reprendre une vie qui ressemble un peu plus à celle des autres, envisager avec inquiétude de reprendre son travail d'aide soignante.
Six mois plus tard, elle est revenue me voir, désemparée. Il lui avait été impossible, l'après-midi précédent, de prononcer un seul mot. L'IRM a montré de nouveau un petit quelque chose qui n'y était pas la dernière fois. Il a fallu de nouveau reprendre le cycle: chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie, le neurochirurgien donnant un pronostic plus qu'incertain: ça ne devrait pas récidiver, mais ça a récidivé, on ne peut pas avoir d'explication pour tout.
Pendant ce temps là, Jules grandit comme il peut, entre Maman, la nounou et des amies de Maman qui font la jonction en période de soin. Il fréquente l'école maternelle, où la maitresse le trouve un peu turbulent, mais parvient à gérer avec le groupe: "heureusement qu'en maternelle, ils ont le droit de se lever...". La maitresse a demandé de "faire voir" Jules par l'orthophoniste, qui ne trouve rien de flagrant, puis le psychomotricien, qui propose "des séances".
Jules vient de rentrer au CP. En début de consultation, nous abordons le sujet de sa scolarité. Son année démarre plutôt bien au niveau strictement scolaire, mais la maitresse se plaignait beaucoup en début d'année du comportement de Jules: il se lève, il bouge tout le temps. Je demande comment se comporte Jules à la maison, et Angélique me répond que, certes, il n'est pas toujours d'accord avec tout, mais qu'elle ne le trouve pas si terrible. Il lui arrive de se mettre en colère si on lui refuse quelque chose, mais se calme ensuite. Elle ne trouve pas qu'il papillonne tant que ça, "ceci dit j'ai qu'un enfant, je ne sais pas comment sont les autres chez eux". Jules nous écoute pendant ce temps là, assis sur le tapis, en jouant avec un boulier.
Pendant que j'examine son fils, Angélique continue:
- Elle a parlé d'hyperactivité. Elle a dit qu'il fallait un traitement. Moi, je voulais pas. Elle a insisté. Elle a dit qu'il pouvait pas rester comme ça, que si ça continuait, elle ne pourrait plus le prendre. J'ai eu peur. Elle m'a envoyer voir un neuro-pédiatre il y a 1 mois. Il lui a prescrit la RITALINE.
J'étais surprise et à vrai dire un peu vexée tout d'abord que toute cette démarche ait été faite sans sans m'informer ni me demander mon avis, puisque je suis censée m'occuper de ce bout de chou. J'étais surtout surprise que cette demande se soit faite ou ait été reçue avec la menace de ne pas prendre l'enfant à l'école, qui est pourtant obligatoire pour tous les citoyens de six à seize ans.
Je lui demande:
- Et depuis?
- Depuis? C'est impeccable, elle le trouve beaucoup mieux, plus attentif, plus calme. Elle ne me dit plus rien, ça fait un mois.
- Et il en prend combien?
- Ah, mais il en prend pas, il en veut pas. J'ai pas envie de lui courir après le matin, alors j'ai laissé tomber, je ne l'embète plus avec ça.