Armance, femme, médecin (et mère) de famille
17 Septembre 2013
Ce mois-ci voit les étudiants en médecine de fin de second cycle choisir leur spécialité future à l'issue de l'Examen Classant National. La médecine générale est maintenant considérée dans cet examen comme une spécialité à choisir parmi d'autres, mais il est clair que les mentalités ont encore du chemin à faire: il semble que la médecine générale soit encore un choix par défaut.
Les jeunes diplômés dans notre spécialité tardent ou hésitent de plus en plus à s'installer en libéral, qui reste pourtant en France le seul moyen d'exercer la médecine "de famille". Il faut dire que les étudiants ont une formation principalement hospitalière, très peu tournée vers l'extérieur. La médecine "de ville" est la grande inconnue pour la majorité des étudiants au moment de leur choix, et il peut paraître logique qu'ils s'orientent en priorité vers ce qu'ils connaissent, l'enjeu étant considérable pour eux.
La pénurie de médecins généralistes libéraux, particulièrement dans les zones considérées comme "désert médical", c'est-à-dire soit peu peuplée avec très peu de médecin, soit très peuplée avec insuffisamment de médecins par rapport à la population semble appelée à perdurer. Je viens d'en faire l'expérience. Nous avons accueilli il y a deux mois une nouvelle associée dans notre cabinet, espérant diminuer notre charge de travail. Le bilan au bout de deux mois est une activité tout à fait correcte pour elle (une vingtaine d'actes par jour), et une absence totale de diminution pour mon autre associé et moi. Nous avions espéré une répartition, nous avons pour l'instant un effet d'appel d'air.
Dans les mesures envisagées pour tenter de remédier à ce décalage entre les besoins et la réalité de l'offre, plusieurs solutions sont à l'essai ou en projet. L'une est d'augmenter le numerus clausus, ce qui n'aura d'effet que sur le nombre total de médecins dans un grand nombre d'années, mais n'aura pas d'effet sur leurs motivations. Des mesures plus ou moins coercitives ou plus ou moins attractives ont été envisagées: aides à l'installation, contrats divers. Ces mesures tiennent peu compte de la réalité de terrain et comptent sur un effet relativement court, quelques années tout au plus.
Un autre aspect souvent occulté est celui de l'usage que les patients font de notre système de santé. Il est difficile d'établir si la pression croissante exercée sur les soignants est issue d'une exigence plus marquée des patients ou simplement du manque d'offre: le nombre de médecins disponibles augmente moins vite que la population de croit.
Et pourtant, tout médecin généraliste vous dira qu'il effectue quotidiennement des actes qui ne nécessiteraient pas sa compétence, actes nombreux et induits à la fois par des années de pratique clientéliste mais aussi par un mésusage par méconnaissance par les patients des missions et du rôle du médecin de terrain.
Car, en fait, quel degré de connaissance nos concitoyens ont-ils de la santé en général, et du fonctionnement du système de soin en particulier?
De nombreuses petites phrases ou abus de langages entendus quotidiennement dans mon cabinet sont significatifs, comme "la sécu, je cotise donc j'y ai droit" ou la confusion si fréquente entre les termes de "maternité", "clinique" et "hôpital".
Réformer le fonctionnement de notre médecine générale va devenir une urgence, mais il serait naïf de ne pas se pencher sur l'information et l'éducation des patients.
Dans un pays où l'éducation à la santé est indigente, chaque médecin s'implique à sa façon et selon son degré de conviction, et finalement l'usage que les patients font des soins relève principalement de la transmission d'habitudes familiales. L'usage et le mésusage que font certains patients des services d'urgences relèvent parfois de la simple naïveté. De même, il est édifiant lorsque l'on participe à la régulation du SAMU de constater qu'un grand nombre d'adultes ne savent ni ce qu'est la fièvre ni que cette information puisse être utile à un médecin, ou ignorent l'importance que peut avoir le fait de prendre ou non des médicaments au long cours.
Les Caisses d'Assurance Maladie ont tenté de modifier les habitudes en usant de diverses stratégies. Les campagnes d'information grand public, du type "Les antibiotiques, c'est pas automatique", on un impact perceptible mais modeste. Les mesures financières, comme les baisses de remboursement des actes effectués hors parcours coordonné ont un impact plus fort, mais pas toujours dans la direction espérée initialement: le volume de démarches administratives exigées par les patients à leurs médecin pour obtenir un remboursement des actes augmente, la pression ne se répercute pas au bon endroit et fausse la relation médecin-patient. En plus de s'occuper de la santé de ses patients, le médecin se voit sommé de veiller au bon remboursement des actes.
Pourquoi donc ne pas agir à long terme et en amont?
Il serait intéressant de développer chez nos enfants, qui sont les patients, enfants de patients et parents de patients de demain, une éducation sanitaire au travers de l'école.
Enseigner aux petits les bases de l'hygiène et de la nutrition, de la connaissance de leur corps se fait de façon encore trop ponctuelle.
Si les adolescents sont initiés au fonctionnement du système juridique lors de leur enseignement d'éducation civique, il est dommage qu'ils ne soient pas initiés à la connaissance de leur système de santé: connaissance des institutions et des soignants, de leurs places et rôles respectifs, connaissance du principe de solidarité.
Il serait civique également d'initier tous nos enfants aux gestes de premier secours en classe de troisième, par exemple, et de leur enseigner simplement ce qu'est réellement un médicament, ou même un certificat.
Les patients sortiront peut-être ainsi du statut d'"usager de la santé" pour prendre celui de "citoyen", car la santé est vraiment l'affaire de tous.
... au risque de devenir un jour #PrivésDeMG
A lire aussi: