Armance, femme, médecin (et mère) de famille
3 Décembre 2012
J'ai horreur de la démonstration par l'exemple, c'est la plaie de notre métier.
Je ne prétends pas trouver à moi seule des solutions au problème de la désaffection de la médecine générale en milieu rurale par les jeunes médecins généralistes.
Je veux simplement apporter un tout petit témoignage.
Pendant presque six ans, j'ai exercé la médecine générale en temps que remplaçante à Troupaumé-en-Cambrousse, à 45km de Granville et son Centre Hospitalier Général car:
j'adorais le contact avec les gens.
Je me sentais utile.
je travaillais beaucoup et je gagnais bien ma vie.
je trouvais que vivre à la campagne avec des enfants petits, c'était sympa.
j'avais une activité très variée, avec plein de responsabilités.
comme j'étais remplaçante, je pouvais me ménager des temps de pause.
Je sortais tous les jours faire des visites à domicile, ça me faisait prendre l'air.
j'avais la possibilité de faire plein d'actes que je n'imaginais pas faire hors de l'hôpital.
je travaillais en équipe avec les paramédicaux du canton.
l'immobilier n'était pas cher du tout. J'avais vite les moyens de me loger grand avec jardin.
Puis, quand j'ai décidé de m'installer, je l'ai fait à Bourgade-lès-rivières, à 20 km de Granville, et j'ai abandonné l'idée de m'installer à Troupaumé-en-cambrousse car:
on n'y trouve pas de collège, pas de lycée pour mes enfants. Ils auront au mieux de longs trajets au collège, et seront internes dès la seconde.
je trouvais la charge de travail à plein temps trop lourde, j'avais peur de ne pas tenir le rythme, et je me disais qu'en cas de burn-out, je ne pourrais ni m'arrêter, ni voir un psy, parce qu'il me faudrait faire 50km aller et 50km retour pour en consulter un.
Participer à des séminaires ou groupes de pairs est d'autant plus compliqué du fait de l'isolement géographique, la charge de travail, la fréquence des gardes, et la possibilité ou non de faire garder les enfants. Ca fait beaucoup de paramètres pour se libérer une soirée.
les médecins ont des difficultés à trouver des remplaçants qui viennent jusque là, et ces derniers ne peuvent pas prendre les gardes depuis chez eux. Soit ils acceptent de ne pas dormir chez eux et on les loge, soit on reporte nos gardes.
les autres médecins sont peu nombreux: les gardes reviennent très souvent, et comme on est loin du centre hospitalier, on doit assurer aussi les urgences vitales.
il n'y a aucune d'opportunité de travail pour mon conjoint.
On ne compte qu'une seule agence bancaire, ouverte 2 jours par semaine.
Il n'y a pas d'activité culturelle.
Au moment de mon installation, il n'y avait pas d'ADSL, et le réseau de téléphone portable était en gruyère, imposant de rester "chez soi" en période de garde.
pour mes enfants, on a bien quelques activités extra-scolaires, mais pas (en fait plus, parce qu'il y a eu...) de transport en commun.
Il n'y a pas de crèche.
une seule station-service fonctionne, sans concurrence, et sans distributeur automatique: on ne peut prendre de l'essence qu'aux heures d'ouverture (moins larges que les miennes).
Tout celà pour dire que je ne suis pas persuadée que l'argument financier soit un frein à l'installation des jeunes médecins en zone rurale, en tous cas, pour mon humble personne, ça ne l'a pas été.
Ceci n'est au fond qu'un témoignage.