Armance, femme, médecin (et mère) de famille
20 Juin 2014
Jeudi dernier, Notre ministre de la santé a présenté publiquement les nouvelles orientations de la loi de santé.
Une des mesures concerne la prise en charge des enfants de moins de seize ans. Jusqu'ici non intégrés dans le dispositif du "parcours de soin coordonné", il leur sera proposé de choisir un "médecin traitant" si leurs parents veulent obtenir un remboursement des consultations au taux maximal. Notre ministre le précise bien dans son discours: ce médecin peut être généraliste ou pédiatre.
On a assisté le jour même dans la presse généraliste à une levée de bouclier des syndicats de pédiatres contre cette mesure dans la presse grand public, ici l'Express, ou ici Europe 1, mais ce ne sont que des exemples.
La flamme de la bonne vieille guerre entre spécialités s'en trouve immédiatement ravivée, il suffit de peu, et même parfois de rien, puisque la loi ne propose absolument pas d'écarter les pédiatres du suivi des enfants.
Dans cet article de l'Express, M. Rubel, président du Syndicat National des Pédiatres Français, affirme que "l'ensemble des pédiatres sont opposés à cette mesure". Ce syndicat doit être remarquablement organisé pour connaître l'avis de la totalité de ses membres en moins de vingt-quatre heures, et cette affirmation sous-entend également que l'ensemble des pédiatres soient syndiqués. Une corporation qui serait syndiquée à 100% en France, ce fait est surprenant.
M. Rubel estime que les pédiatres ne sont pas assez nombreux en France pour assurer le suivi des moins de six ans, c'est un fait, c'est effectivement pour cette raison entre autres que les médecins généralistes assurent une grande proportion d'actes avec des moins de seize ans, car la pédiatrie ne concerne pas que les moins de six ans. A titre d'exemple, les relevés très précis que me fournissent régulièrement la Caisse d'assurance Maladie m'ont informée qu'en 2013, 28% des actes que j'ai effectués concernaient des moins de seize ans.
Sachez, M. Rubel, vous qui pensez que les généralistes se forment exclusivement entre eux, que j'ai été formée à la pédiatrie en CHU avec des... pédiatres, et non des généralistes. J'ai aussi pu bénéficier de stages en PMI avec une... pédiatre aussi. En revanche, je n'ai jamais vu un pédiatre venir se former au contact d'un généraliste, c'est dommage, il aurait aussi des choses à découvrir.
Sachez également que le nombre de pédiatres ne conditionne pas à lui seul la mortalité infantile d'une population: des paramètres comme le niveau de vie, l'accès à l'éducation, à l'eau potable, la qualité de l'alimentation, l'hygiène et une foule d'autres interviennent, et ne relèvent pas de l'activité des médecins.
Dans l'article d'Europe 1, M. Amin Marsan nous apprend qu'on ne soigne pas un enfant comme un adulte. Effectivement, j'en avais conscience depuis le début de mes études, et je me permets de rajouter également qu'on ne soigne pas une personne âgée comme un adulte jeune, ni comme un enfant. C'est là une de nos compétences: nous nous adaptons aussi, comme tous les autres médecins, à l'âge de nos patients.
Je tiens à rassurer les journalistes, chez nous aussi, les parents abordent des sujets variés lorsqu'ils emmènent les enfants consulter pour un motif principal. M. Amin Marsan semble ignorer que nous sommes même les champions toutes catégories de la consultation à motif multiple, quel que soit l'âge du patient.
Un généraliste saura même apporter une réponse à la problématique exprimée dans la dernière ligne, ce que ne fera pas le pédiatre.
Le paragraphe est titré "pas de bon diagnostic en treize minutes". Le temps de consultation moyen d'un généraliste est, dans l'article, estimé à treize minutes. La durée de nos consultations est aussi variée que les contenus.
Personnellement, je travaille trop lentement pour tenir cette moyenne, mais je travaille sur rendez-vous avec des durées de consultation variables selon les motifs annoncés: si je suis capable de gérer un patient enrhumé ou renouveler un traitement anti-hypertenseur en dix minutes, je prévois de consultations de trente pour les enfants de moins de deux ans, mais aussi les patients atteints de pathologies multiples ou complexes, les actes de psychiatrie, et parfois de quarante-cinq minutes pour une consultation d'annonce. Il est à noter que l'article ne mentionne pas la durée moyenne d'une consultation de pédiatrie dans un cabinet libéral. on ne peut donc rien comparer.
Les patients ne viennent pas tous en consultation pour obtenir un diagnostic, ils viennent aussi pour faire de la prévention, demander conseil, un avis, se faire soigner, mais un journaliste a des difficultés à boucler un article sur la médecine sans y insérer ce mot, alors il fallait bien le mettre quelque part.
La formation des généralistes n'est pas identique à celle des pédiatres, et nos connaissances et nos compétences sont parfois proches pour certaines choses, différentes pour d'autres.
Je l'avoue, je suis incapable de réanimer un nouveau-né, je ne sais pas prendre en charge un enfant diabétique, je ne sais pas organiser les soins et la surveillance d'un enfant prématuré, d'un enfant épileptique, car je n'ai pas reçu cette formation.
En revanche, j'ai été formée par des pédiatres et des généralistes à effectuer des actes de prévention, dépistage et de soin spécifiques aux enfants qui ne présentent pas de pathologies chroniques.
Nos compétences peuvent se voir comme complémentaires, donc pourquoi lancer une telle charge à l'encontre de la médecine générale, alors que le dispositif ne prévoit pas d'exclure les pédiatres mais de laisser le choix aux parents?
Dans l'usage, de nombreux parents parlent déjà de leur "pédiatre traitant", pour eux, ce dispositif ne sera qu'une simple formalité.
Les pédiatres pourront assumer jusqu'au bout leur rôle de médecin traitant de l'enfant, comme nous le faisons pour nos patients de tous âges: les recevoir pour des consultations de prévention, les soigner, s'occuper de tenir leur dossier, de les orienter dans le système de soin.
Cette mesure ne changera donc probablement rien dans nos pratique, si ce n'est qu'elle vient de réveiller de vieilles rancoeurs: complexe de supériorité des uns contre complexe d'infériorité des autres.
Le seul petit changement, c'est que nous n'accepterons peut-être plus de prendre en urgence aux jours et heures ouvrables les enfants suivis habituellement par un pédiatre, à la demande de ce dernier parce qu'il estime que la consultation est nécessaire mais qu'il n'a pas le temps de les recevoir.
Mesdames et Messieurs les pédiatres, qui êtes absents des zones rurales, en tant que médecin traitant et référent prioritaire des enfants, il vous faudra retirer de vos répondeurs et de vos ordonnanciers la phrase "en cas d'urgence, veuillez contacter votre médecin généraliste", et assumer toutes les urgences des patients dont vous êtes le médecin traitant au heures d'ouverture des cabinets.
Je suis généraliste, je suis médecin de famille, je ne serai plus l'urgentiste du pédiatre libéral.