Armance, femme, médecin (et mère) de famille
31 Août 2013
Jusqu'il y a vingt ans, notre loi Française encadrait de façon relativement directive le choix des prénoms des enfants que l'on inscrivait à l'Etat Civil à leur naissance. Hormis dans certaines régions où l'empreinte culturelle est vivace, il était d'usage d'extraire le prénom du nouveau-né d'un calendrier religieux, ou d'en choisir un "issu de l'histoire ancienne".
Les cultures et les traditions familiales agrémentaient la chose: ajout de "Marie" parmis les autres prénoms donnés, choix du prénom d'un ascendant, d'un défunt récent proche de la famille, choix de prénom d'une personne célèbre que les parents admirent.
De nombreux spécialistes de la chose psychologique se sont penchés sur les enjeux du choix du prénom, du moins dans notre culture. Pour les parents, l'enjeu est avant tout l'affection et les sentiments qu'ils projettent sur l'enfant. La pression sociale en ce domaine est forte. Quelle femme enceinte ne s'est pas vue questionner, après le sexe de l'enfant à venir, sur le prénom qu'elle est censée avoir choisi pour lui?
Et pourtant, il est des situations ou des cultures où le mode d'attibution du prénom diffère.
Une de mes connaissances a vécu la dure expérience des "Boat-People" au cours de la guerre au Viet-Nam. Embarquée en catastrophe dans des conditions terribles sur un bateau, débarquée avec l'aide d'une organisation humanitaire, elle avait tout perdu, y compris ses papiers d'identité. Au moment d'en établir de nouveaux et de faire une demande d'asile, elle a réussi à épeler et faire écrire son nom. Pour le prénom, on lui a tendu une liste en lui demandant de chercher le sien dedans, qu'elle n'a bien sûr pas trouvé. Elle a choisi le premier prénom féminin sur la liste: Alice. Donc, depuis plus de quarante ans, elle se prénomme Alice, en tous cas pour les personnes qu'elle a rencontrées dans sa nouvelle vie.
Une de mes amies Japonaise m'avait expliqué que ses parents avaient composé son prénom: chaque syllabe correspondait à une qualité particulière. En France comme au Japon, elle n'avait jamais eu d'homonyme.
Donner à un enfant le prénom d'une personne admirée se retrouve dans de nombreuses cultures. Lorsque j'habitais au Brésil, j'ai côtoyé des collègues dont le prénom était Gutenberg, ou Mozart, ou Lénine, et personne ne s'étonnait de rien. Les prénoms sont là-bas bien plus variés qu'en France, d'origines très diverses, et surtout ne semblent pas lever autant d'émotion qu'en France.
J'ai aussi une connaissance au Cameroun qui nous racontait qu'un Père Blanc avait vécu longtemps dans son village, et avait laissé de très bons souvenirs aux habitants. Il avait eu ce commentaire étonnant: "Il est resté trop longtemps: tout le monde s'appelle comme lui".
Les choses étaient différentes lorsque je travaillais sur les aires de stationnement des Gens du Voyage. Le prénom donné à l'Etat-Civil revêt à leurs yeux bien moins d'importance que le surnom donné par la famille, ce qui est la source d'histoires souvent relatées en maternité: la mère à qui on demande le prénom du bébé interroge les personnes présentes dans la salle sur le leur, et choisit parmi ceux que l'on vient de citer. Il ne s'agit pas là de mépris ou de négligence de sa part, elle compte prénommer son enfant quand elle sera revenue dans l'intimité de la famille. Le prénom à l'Etat-Civil est d'ailleurs souvent appelé par ces enfants "nom d'école", car l'école est le seul lieu où on l'utilise pour s'adresser à eux. Ceci explique aussi qu'il arrive que le personnel des services d'urgences pédiatriques entendent prononcer cette question: "c'est quoi, déjà, le nom du petit?". Il ne s'agit souvent pas de fraude à la carte Vitale, mais juste d'un questionnement sur le prénom "des papiers" qui n'est utilisé dans aucun autre contexte. Le prénom familial leur est autrement plus précieux.
Il y a vingt ans, une modification du code civil Français a permis aux parents un choix plus vaste pour leurs enfants, ne les soumettant plus à la nécessité d'avoir recours à un calendrier ou à des fait historiques. La diversité des prénoms s'est alors subitement agrandie.
L'influence marquée de la culture anglo-saxonne dans notre quotidien est rapidement apparue. Les héros de sagas audio-visuelles, homonymes de stars extra-nationales ont fait irruption dans les mairies, sous une indignation bien-pensante. Quel soignant n'a jamais entendu tenter de qualifier le contexte social d'une famille en utilisant un prénom? On avait entendu jusque là "c'est une... Marie-Chantal", et on a entendu "c'est un... Dylan/Jason/Kevin...", avec tout le mépris que cette dénomination implique.
L'orthographe des prénoms libérée, certains ont opté pour une singularité qui n'apparaisse qu'à l'écrit. Un même prénom est devenu variable. Il faut remarquer aussi que faire inscrire le prénom voulu à l'Etat-Civil lorsqu'on ne maîtrise pas l'écriture n'est pas toujours aisé. Le prénom Jason prononcé à l'anglo-saxonne devient Djayzon sur les papiers, les parents n'ayant pu l'épeler au moment de l'inscription, et l'officier d'Etat-Civil s'étant contenté d'un recueil phonétique.
Qu'il soit sur les papiers ou oral, le prénom est partie pleine et entière de la personnalité, et nécessite le respect.
S'il est un lieu où l'orthographe des prénoms est un peu trop libérée, il s'agit des cartes VITALE, a fortiori si le porteur n'est pas d'origine Française. Pourtant, il faut fournir un papier d'identité pour l'obtenir, où le nom et le prénom sont imprimés lisiblement. On ne peut incriminer ni l'illettrisme de l'intéressé, ni une mauvaise écriture.
Le sommet de l'humiliation est atteint avec la mention SP accolée au nom sur la carte: "sans prénom".