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Armance, femme, médecin (et mère) de famille

Prénom: SP.

Jusqu'il y a vingt ans, notre loi Française encadrait de façon relativement directive le choix des prénoms des enfants que l'on inscrivait à l'Etat Civil à leur naissance. Hormis dans certaines régions où l'empreinte culturelle est vivace, il était d'usage d'extraire le prénom du nouveau-né d'un calendrier religieux, ou d'en choisir un "issu de l'histoire ancienne".

Les cultures et les traditions familiales agrémentaient la chose: ajout de "Marie" parmis les autres prénoms donnés, choix du prénom d'un ascendant, d'un défunt récent proche de la famille, choix de prénom d'une personne célèbre que les parents admirent.

De nombreux spécialistes de la chose psychologique se sont penchés sur les enjeux du choix du prénom, du moins dans notre culture. Pour les parents, l'enjeu est avant tout l'affection et les sentiments qu'ils projettent sur l'enfant. La pression sociale en ce domaine est forte. Quelle femme enceinte ne s'est pas vue questionner, après le sexe de l'enfant à venir, sur le prénom qu'elle est censée avoir choisi pour lui?

Et pourtant, il est des situations ou des cultures où le mode d'attibution du prénom diffère.

Une de mes connaissances a vécu la dure expérience des "Boat-People" au cours de la guerre au Viet-Nam. Embarquée en catastrophe dans des conditions terribles sur un bateau, débarquée avec l'aide d'une organisation humanitaire, elle avait tout perdu, y compris ses papiers d'identité. Au moment d'en établir de nouveaux et de faire une demande d'asile, elle a réussi à épeler et faire écrire son nom. Pour le prénom, on lui a tendu une liste en lui demandant de chercher le sien dedans, qu'elle n'a bien sûr pas trouvé. Elle a choisi le premier prénom féminin sur la liste: Alice. Donc, depuis plus de quarante ans, elle se prénomme Alice, en tous cas pour les personnes qu'elle a rencontrées dans sa nouvelle vie.

Une de mes amies Japonaise m'avait expliqué que ses parents avaient composé son prénom: chaque syllabe correspondait à une qualité particulière. En France comme au Japon, elle n'avait jamais eu d'homonyme.

Donner à un enfant le prénom d'une personne admirée se retrouve dans de nombreuses cultures. Lorsque j'habitais au Brésil, j'ai côtoyé des collègues dont le prénom était Gutenberg, ou Mozart, ou Lénine, et personne ne s'étonnait de rien. Les prénoms sont là-bas bien plus variés qu'en France, d'origines très diverses, et surtout ne semblent pas lever autant d'émotion qu'en France.

J'ai aussi une connaissance au Cameroun qui nous racontait qu'un Père Blanc avait vécu longtemps dans son village, et avait laissé de très bons souvenirs aux habitants. Il avait eu ce commentaire étonnant: "Il est resté trop longtemps: tout le monde s'appelle comme lui".

Les choses étaient différentes lorsque je travaillais sur les aires de stationnement des Gens du Voyage. Le prénom donné à l'Etat-Civil revêt à leurs yeux bien moins d'importance que le surnom donné par la famille, ce qui est la source d'histoires souvent relatées en maternité: la mère à qui on demande le prénom du bébé interroge les personnes présentes dans la salle sur le leur, et choisit parmi ceux que l'on vient de citer. Il ne s'agit pas là de mépris ou de négligence de sa part, elle compte prénommer son enfant quand elle sera revenue dans l'intimité de la famille. Le prénom à l'Etat-Civil est d'ailleurs souvent appelé par ces enfants "nom d'école", car l'école est le seul lieu où on l'utilise pour s'adresser à eux. Ceci explique aussi qu'il arrive que le personnel des services d'urgences pédiatriques entendent prononcer cette question: "c'est quoi, déjà, le nom du petit?". Il ne s'agit souvent pas de fraude à la carte Vitale, mais juste d'un questionnement sur le prénom "des papiers" qui n'est utilisé dans aucun autre contexte. Le prénom familial leur est autrement plus précieux.

Il y a vingt ans, une modification du code civil Français a permis aux parents un choix plus vaste pour leurs enfants, ne les soumettant plus à la nécessité d'avoir recours à un calendrier ou à des fait historiques. La diversité des prénoms s'est alors subitement agrandie.

L'influence marquée de la culture anglo-saxonne dans notre quotidien est rapidement apparue. Les héros de sagas audio-visuelles, homonymes de stars extra-nationales ont fait irruption dans les mairies, sous une indignation bien-pensante. Quel soignant n'a jamais entendu tenter de qualifier le contexte social d'une famille en utilisant un prénom? On avait entendu jusque là "c'est une... Marie-Chantal", et on a entendu "c'est un... Dylan/Jason/Kevin...", avec tout le mépris que cette dénomination implique.

L'orthographe des prénoms libérée, certains ont opté pour une singularité qui n'apparaisse qu'à l'écrit. Un même prénom est devenu variable. Il faut remarquer aussi que faire inscrire le prénom voulu à l'Etat-Civil lorsqu'on ne maîtrise pas l'écriture n'est pas toujours aisé. Le prénom Jason prononcé à l'anglo-saxonne devient Djayzon sur les papiers, les parents n'ayant pu l'épeler au moment de l'inscription, et l'officier d'Etat-Civil s'étant contenté d'un recueil phonétique.

Qu'il soit sur les papiers ou oral, le prénom est partie pleine et entière de la personnalité, et nécessite le respect.

S'il est un lieu où l'orthographe des prénoms est un peu trop libérée, il s'agit des cartes VITALE, a fortiori si le porteur n'est pas d'origine Française. Pourtant, il faut fournir un papier d'identité pour l'obtenir, où le nom et le prénom sont imprimés lisiblement. On ne peut incriminer ni l'illettrisme de l'intéressé, ni une mauvaise écriture.

Le sommet de l'humiliation est atteint avec la mention SP accolée au nom sur la carte: "sans prénom".

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G
Informations appuyées par des faits réels, j'adore. Je pourrais également ajouter une expérience personnelle lors de ma visite à Madagascar. Les parents appellent effectivement leurs enfants de par la célébrité d'une personne au sein de la communauté. Je renforce donc vos analyses en disant que c'est vraiment réel.
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@
C'est un sujet qui me fascine, et souvent me fait rire. En tous cas, systématiquement, je pose des questions pour apprendre. Après j'en rigole avec les patients. Dans mon coin, j'ai appris plein de trucs:<br /> Le Sri-lankais, alors ça, c'est le plus rigolo. En théorie, l'enfant prend comme nom de famille le prénom du père. Père qu'on appelle d'ailleurs dans l'intimité par son nom de famille. Arrivés en France, on &quot;fixe&quot; le nom de famille. Je connais des familles élargies depuis des années, et découvre encore aujourd'hui des liens de parenté insoupçonnés.<br /> Les congolais ont 3 &quot;noms&quot;, dont l'un est inventé, mais sans réel nom de famille. On m'a expliqué, mais je ne me souviens plus. Ceux là se retrouvent souvent avec plusieurs noms de famille du coup et un prénom SP. Ca les fait rigoler quand je leur dis &quot;hey! vous savez que vous vous appelez SANSPRENOM? pouahaha&quot;<br /> Un beau bordel chez les portugais: 2 noms de famille, la mère avant le père. Mais l'Etat Civil décide que c'est le contraire. Total, le nom d'usage est toujours le 2ème. Et les gens ne se reconnaissent pas quand on les appelle (et je ne les trouve pas quand je les cherche dans l'ordi). J'ai même le cas de 2 soeurs, qui ont 3 noms, dont 2 communs, et pas dans le même ordre. <br /> Un seul exemple, mais original, d'une famille polonaise. Apparemment là bas, le nom de famille s'accorde avec le genre. Maman s'appelle xxx-a, son fils xxx-i. C'est curieux parce que dans d'autres familles polonaises je n'ai pas constaté ça. Faudra que je leur demande tiens.<br /> Il y a aussi, sur les cartes vitales, de nombreuses transformations plus ou moins pénibles. Des traits d'union, des espaces, qui apparaissent ou disparaissent au gré des générations, ou dans les fratries (sur le même CV, c'est d'ailleurs assez grotesque!). Avec une mention spéciale pour les apostrophes: visiblement, c'est ingérable.<br /> Une anecdote unique: Mme A a une fille qui porte le nom de famille B, et un bébé le C. Sur le dossier je vois que leur adresse est chez monsieur B. ?? &quot;non non mais le père du bébé c'est B&quot; hein? &quot;mais mon frère l'a adopté&quot; que quoi? &quot;parce qu'il a pas d'enfant&quot; mais... Hein? Donc vous vivez avec le père de votre enfant que vous avez fait adopter par votre frère? &quot;Oui, mon demi frère&quot; (ben oui : C, pas A) &quot;mais c'est parce que lui il a pas d'enfant&quot;... Voilà
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M
Merci pour l'info utile qui permet d'envisager l'Autre au cœur de ses particularités identitaires,Essentiel
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M
Marrant cette légende sur les antillais qui s'appelle fetnat, ça fait 10 ans que j'y travaille et que je vois passer des dizaines de prénoms par jour, j'en ai jamais vu un seul !
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B
je me demandais depuis plusieurs mois pourquoi certains enfants gitans avaient deux prénoms. Maintenant je comprends mieux. excellente analyse, merci :)
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D
Bonjour,<br /> J'ai un patient d'origine malgache dont le prénom est SP et il s'en moque ou plutôt il se moque de l'etat civil français qui ne comprend rien.<br /> J'avais une patiente martiniquaise qui s'appelait FetNat (elle était née le 14 juillet).<br /> J'ai de nombreux patients srilankais pour lesquels la filiation se fait ainsi : le fils prend comme nom de famille le prénom du père et ainsi de suite : pas facile.<br /> Chez les Balinais le premier enfant a toujours le même prénom A, tout comme le deuxième B, le troisième C, le quatrième D et le cinquième E. Le sixième enfant s'appelle de nouveau A.<br /> pour les Portugais l'Etat-civil est un casse-tête : les patronymes étant diffrents car la CNAM, qui fait ce qu'elle veut, ne suit pas les instructions de l'Etat-civil qui applique des règles simples pour qu'un enfant français de parent portugais ne porte pas le nom de sa grand-mère maternelle...<br /> Quant aux &quot;gens du voyage&quot;, je ne sais pas si c'est la bonne expression, ils ont parfois un Etat civil plus ancien que nombre de Français dits de souche...<br /> Bonne journée.
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A
Le plus utile serait que les agents de la CNAM fassent un effort pour recopier scrupuleusement ce qui figure sur les documents d'identité qu'ils utilisent pour établir les cartes.