Armance, femme, médecin (et mère) de famille
27 Mars 2013
Petite, je jouais souvent avec Clémentine.
Clémentine avait cinq frères et soeurs. Nous étions proches, mais n'avions pas tout à fait la même éducation. Ses parents étaient catholiques, les miens aussi, mais les siens étaient beaucoup plus fervents que les miens. Il m'arrivait d'aller à la messe en famille, en général deux fois par an: une fois à Noël, ça m'amusait, parce qu'on y allait le soir, à pied dans la neige, et une fois à Pâques, j'adorais aussi parce qu'on devait ensuite chercher partout des oeufs en chocolat en rentrant pendant que les grands parlaient fort entre eux.
Chez Clémentine, la messe, c'était tous les dimanches, et puis tous les jours la semaine de Pâques, et puis aussi la petite prière tous les soirs. Les enfants allaient tous dans une école catholique, parlaient entre eux de leurs communions respectives. Cet univers me paraissait bien étrange, et quelque peu contraignant, mais je les respectais, et je les observais avec un certain intérêt.
Si mes parents se rendaient dans une église deux fois par an, c'était probablement plus par habitude. J'avais l'impression que les parents de Clémentine étaient très convaincus par leur religion, et je trouvais ça curieux.
Le Papa de Clémentine était médecin, c'était aussi, à l'époque, du haut de mes huit ans, un métier qui m'intrigait, d'autant que mes parents ne l'étaient pas. Je m'imaginais qu'il devait savoir plein de choses sur le corps humain, et aussi qu'il avait déjà vu des gens morts, qu'il en avait sauvé, et qu'il y en a aussi pour qui il n'avait rien pu faire. A l'époque, je vivais en Afrique Sub-Saharienne dix mois par an, et j'avais pris conscience de la dureté de la vie par endroit. J'étais peut-être un peu trop pragmatique, mais, au fond de moi, depuis que j'avais vu dans la rue des enfants de mon âge ou plus jeunes avec des séquelles de la poliomyélite ou de la lèpre, j'avais du mal à croire que notre Dieu était infiniment bon comme on voulait bien me le répéter. Je ne pensais pas que le Dieu des autres fût meilleur, je trouvais qu'il n'y en avais pas un pour rattraper l'autre, puisque les faits étaient là, et je cherchais d'une autre façon des réponses à mes questions.
Alors, quand j'étais chez Clémentine, je faisais semblant pour faire comme eux, parce que j'avais peur de les choquer. Comme j'avais été éduquée dans la religion, mais de loin, je savais en gros le minimum pour ne pas passer pour un monstre ou une provocatrice à leurs yeux.
Et puis, un jour, une des soeurs de clémentine est tombée malade. Personne ne savait vraiment ce qu'elle avait, elle avait très mal au ventre et elle pleurait. La famille s'est réunie et a prié avec ferveur pour sa guérison. Mais comme la soeur de Clémentine a continué à avoir mal, que même Sainte-Thérèse de Lisieux ne daignait pas lever le petit doigt, le Papa de Clémentine a emmené sa soeur dans la clinique où il travaillait, et l'a confiée à un ami chirurgien, qui est parvenu à la sauver des affres de la torsion du kyste ovarien, sous anesthésie générale. Quelques jours plus tard, la soeur de Clémentine s'est remise, et la vie a repris son cours.
Clémentine, en me contant cette aventure, en a tiré cette conclusion:
- Tu vois, les prières, pour les maladies, d'habitude, ça marche, mais pour le kyste à l'ovaire, ça marche pas: on a bien prié, mais il a quand même fallu opérer ma soeur.