Armance, femme, médecin (et mère) de famille
11 Septembre 2013
Septembre, mois de la rentrée des classes, je vais donner dans le cliché: les feuilles qui tombent, la pluie qui arrive, les écoles qui ouvrent et les activités para-scolaires qui reprennent...
Pour le médecin "de famille" commun, c'est le mois "des certificats". A mon corps défendant, cette activité devient ma première source de revenus pendant un mois. Alors, me direz-vous, pour le bien de la communauté, pour économiser le temps et les sous de tous, pourquoi ne pas installer un distributeur devant l'entrée de mon cabinet? Un beau distributeur, avec des boutons pour choisir.
Premier bouton: Objet du certificat:
- 1: aptitude.
- 2: inaptitude.
Second bouton: Choisissez votre sport dans la liste.
Troisième bouton: Options
- 1 en compétition.
- 2 hors compétition.
- 3 arbitrage.
- 4 surclassement.
- 5 première ligne au rugby. Entrez les indices de Torg et Pavlov mentionnés sur le compte-rendu de votre radiographie du rachis cervical.
Quatrième bouton: Impression.
Merci. Au revoir.
Ce serait le désir de nombreux patients. On peut même moduler le modèle, avec délivrance de certificats pour présence/absence, enfant malade qu'un adulte doit impérativement garder, présence chez un médecins.
Mais en pratique, je vois quand même les patients, car sinon, je me retrouve en position de produire des faux. Faire un faux certificat d'aptitude à l'aéromodélisme en compétition, ce n'est pas trop grave. Mais si je fais ceux-là, pourquoi pas d'autres? "Allez, Docteur, soyez cool, vous me l'avez fait pour la pétanque, mais là, j'ai raté l'avion et le billet m'a coûté hyper-cher!", "allez, Docteur, deux jours d'ITT, devant le juge, ça vaut rien, il me faut au moins huit jours, non?".
Pour donner un peu de sens et d'utilité à notre travail, avec mes associés, nous avons transformé cette consultation en consultation de prévention, avec un déroulement et des axes cliniques propres à chaque âge, à chaque sport et à chaque contexte. On ne fait cette consultation qu'une fois par an et par patient, et on leur explique en détail le principe la première fois. Parmi les patients que nous suivons, les moins organisés, qui ne sont pas forcément les moins impliqués dans cette démarche sont groupés dans ma salle d'attente depuis deux semaines...
Nous avons réussi à donner du sens, qui n'est pas forcément celui initial, à l'établissement des certificats d'aptitude au sport.
Qu'en est-il de tous les autres que l'on nous demande?
Car, en rédigeant un certificat, il est attendu de nous que nous rédigions en toute bonne foi le compte-rendu de ce nous constatons de nos propres yeux (ou oreilles ou nez). C'est ce que je m'applique à faire chaque fois que je rédige un certificat qui va avoir un usage "juridique", par exemple pour un certificat "coups et blessures", exercice toujours délicat.
Médecins qui me lisez, essayez ne serait-ce qu'une semaine de ne délivrer que des certificats attestant de ce que vous pouvez vraiment constater.
Je ne parle pas des certificats que les patients nous demandent d'eux-même pour tenter d'obtenir un appui pour régler un différent, je parle de ceux que les organismes, entreprises, établissements scolaires, associations ou autres se trouvent en droit d'exiger eux-même aux médecins par l'intermédiaire des patients qui se sentent "obligés de fournir".
Nous avons obtenu depuis quelques années que les maires des communes ne demandent plus de "certificat d'aptitude à l'entrée en école maternelle". Les critères exigés à l'entrée de l'école étaient "âge supérieur à deux ans et trois mois" et "propreté acquise", n'en déplaise à un ancien ministre de l'éducation nationale qui était tellement au fait de son ministère qu'il avait estimé que le travail des enseignants de maternelle ne devait pas se limiter à changer les couches... à des enfants qui n'en portaient plus pour pouvoir venir. Je ne peux pas passer une journée entière avec chaque enfant pour attester que ses sous-vêtements restent secs en toutes circonstances.
Les enfants ne sont pas rentrés seuls dans les établissements scolaires, ils y ont amené chacun leur lot de virus, et le top départ des échanges à commencé. Je n'ai pas fini de faire des certificats d'aptitude au sport qu'on commence déjà à m'en demander pour justifier que les enfants n'aillent pas à l'école parce qu'ils sont fébriles.
Je refuse posément de les délivrer aux parents, en leur expliquant que la présence de leur enfant à l'école revient à leur responsabilité, et en leur rappelant qu'ils doivent appeler l'école dès le matin. Comme on est en début d'année, les Mamans sont souvent inquiètes de ne pas rester dans le règlement de l'école, pour peu que l'équipe enseignante de l'école du coin ait été changée et que la nouvelle direction cherche à asseoir son autorité... Je fais le certificat une fois, en joignant une copie des règles d'utilisation des certificats par les établissements scolaires, et en disant aux parents de donner mon numéro de téléphone aux enseignants si l'affaire se complique. Je ne reçois jamais de coup de fil, et les demandes de certificat pour absence scolaire cessent ensuite pour le reste de l'année.
Car, honnêtement, comment m'est-il possible d'évaluer à l'avance la durée de la rhino/gastro/virosalacon en cours? Je ne suis même pas en mesure de le faire avec mes propres enfants...
Est-il utile d'imposer aux parents une consultation systématique à chaque flatulence déviée empêchant la fréquentation de l'école au motif qu'il faut que le tout-puissant-docteur délivre une absolution écrite?
Refuser ces certificats a le mérite de placer les parents devant leur rôle de parent (évaluer si leur enfant est en état d'aller à l'école, se débrouiller eux-même quand la pathologie n'est pas grave) et tenter de nous faire sortir d'une relation clientéliste.
Mais au-delà du fait qu'une rhinopharyngite, ça donne de la fièvre, il commence à être admis qu'il s'agit d'une pathologie CONTAGIEUSE. Ce mot fait hérisser la coiffure de nombreuses personnes qui travaillent dans les collectivités, car la diffusion de maladies contagieuses est un effet secondaire de la vie en collectivité. Une réglementation impose l'éviction scolaire pour certaines de ces maladies, vous y avez accès ici. Dans de nombreux esprits, la nuance entre CONTAGIEUX et GRAVE est floue. Un rhume est contagieux. Certains cancers sont graves.
Entre le zèle réglementaire des uns, la crainte sanitaire des autres et les angoisses parentales, l'application de ces réglementations est un domaine des plus nébuleux. Les enfants sont aussi protégés par le secret médical tant qu'ils ne sont pas en danger. J'ai été très surprise, alors que je prévenais l'école primaire de l'absence d'une de mes filles en proie aux affres de la rhinopharyngite avec l'option "fièvre" de me faire retourner sèchement cette question: "qu'est-ce qu'elle a?".
J'ai reçu aussi un jour une page entière dans un carnet de correspondance qui signalait la présence de "cas de scarlatine" dans l'école, avec toute une description physiopathologique documentée mais un peu longue à lire, et surtout la menace de ne pas reprendre les enfants après leur absence s'ils ne disposaient pas de "certificat attestant de la bonne prise du traitement et de la guérison". D'un point de vue pratique, un message du type "fièvre + mal de gorge + éruption => ça vaut le coup de consulter un médecin" me paraît plus pragmatique et moins anxiogène. Je ne me suis pas faite que des amis en renvoyant un mot dans le même carnet expliquant qu'un médecin généraliste a actuellement d'autres occupations que de vérifier que les enfants vont bien après leur maladie, et que, par ailleurs, il m'était techniquement impossible de me rendre chez mes patients matin, midi et soir pour constater qu'ils prenaient bien leurs médicament. la réponse a été synthétique: "c'est le règlement".
Et c'est pour bien suivre le règlement qu'un collège des environs a exigé cette semaine un certificat justifiant l'absence d'une élève qui avait été renvoyée la veille après un passage par l'infirmerie pour un état fébrile.
Que se passerait-il pour les bénéficiaires des "jours enfant-malade" si je ne me mettais à certifier que ce que je constate? On me demande de certifier que les enfants sont malades et ne se gardent pas seuls, pour permettre aux parents travaillant dans certaines entreprises de s'absenter de leur travail tout en restant rémunérés, dans un nombre limité de jour par an. Mais je ne peux pas savoir et donc mentionner qui garde l'enfant. Ce type de certificat qu'on nous demande à foison motive un nombre considérable de consultations qui n'ont aucun autre but. Dans la mesure où les entreprises limitent le nombre de jours accordés aux employés, je me demande à quoi il sert, si ce n'est compliquer la vie de ceux qui voudraient en bénéficier. Et si j'ai la certitude que certains parents profitent d'un discret nez-qui-coule pour bénéficier du dispositif là où sans ce droit, ils n'auraient rien remarqué, certains employeurs renvoient leurs doutes en EXIGEANT que les durées soient précises, que le nombre de jours soit exact, et que figure sur le certificat l'identité de la personne qui va garder l'enfant. Alors, pour éviter aux patients une brouille avec leur employeur, nous voilà contraints de rédiger un certificat qui atteste qu'un enfant va être malade deux, ou trois jours, et puis finalement deux, et que Papa a gardé lundi et mardi matin, le mardi après-midi, c'était Maman, mais comme elle n'a pas le même employeur, il en veut un autre...
Coincés entre une institution qui exige et des patients qui demandent donc indirectement, et parfois devancent la demande, nous finissons par passer un temps et une énergie considérables fournir des certificats sans utilité ni sens ni valeur.
Les certificats d'aptitude, ou plutôt de "non contre-indication à" exigés maintenant pour tout ce qui se pratique "en compétition" donnent lieu à des libellés étranges, dont vous trouverez un fleuron par ici, il mérite un détour. On me dit dans l'oreillette qu'un autre classement est en préparation pour cette année, il s'annonce coloré.