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Armance, femme, médecin (et mère) de famille

Gale.

Il y a deux ans, j'ai reçu la visite d'un jeune couple d'étudiants très inquiêts.

Quelques jours auparavant, ils avaient terminé une soirée plutôt convivale en tas dans un canapé avec un certain nombre de leurs congénères afin d'éviter l'illégalité au volant. Ils avaient reçu depuis un coup de fil d'un des participants à cette soirée, qui sortait de chez son médecin traitant avec un traitement pour éradiquer la gale.

Après avoir tapé "gale" sur Google Images, ils ont demandé un rendez-vous EN URGENCE. Essayez, vous verrez, c'est effectivement l'effet que ça fait.

Ils sont arrivés avec plein de questions intéressantes auxquelles je ne savais plus répondre, parce que je n'avais encore jamais vu de patient atteint de la gale, et que j'avais donc oublié cette page de mes cours de parasitologie. Comme ils sont venus un jour particulièrement creux et que nous avions une heure entière devant nous, j'ai ouvert mon placard à antisèches, et nous avons comparé ensemble les dires de mes livres de parasitologie, de maladies infectieuses et de dermato-vénérologie. Ils ne se grattaient pas, nous avons opté pour une simple surveillance, et rien n'est advenu.

Quelques semaines plus tard, une jeune femme me montrait, au décours d'une consultation pour un autre motif, des lésions d'eczéma apparue récemment sur ses poignets et entre ses doigts, dont elle n'arrivait pas à venir à bout avec un traitement local prescrit par son dermatologue. Il m'a fallu enfiler une paire de gants au sens verbal du terme pour lui suggérer une autre hypothèse diagnostique qu'elle estimait moins glorieuse. Un traitement spécifique lui a cependant permis de ne plus se gratter.

La gale n'est en aucun cas une pathologie du manque d'hygiène, c'est plutôt le manque d'hygiène qui entraine les lésions typiques décrites dans nos livres ou visibles sur le net. La "gale du monde", comme on disait il y a un siècle, correspondait aux lésions frustes difficiles à diagnostiquer chez les "gens du monde", ceux qui usaient des premières salles de bain, et c'est bien à celle-là que je suis de plus en plus souvent confrontée.

En revanche, il semble que la gale soit plutôt une pathologie de la promiscuité. Le parasite responsable des lésions est particulièrement frileux, et s'accomode très bien des partages de lit et de vêtement.

Je constate depuis une fréquence accrue d'infestations par la gale. Initialement, c'était l'apanage des étudiants, lycéennes partageant le même box et les mêmes tee-shirts en internat, puis sont venus des familles, des enfants, même des bébés.

Je me suis demandée pendant un temps si je sur-diagnostiquais, mais mes patients se disaient soulagés par les traitements. J'ai ensuite pensé que je négligeais peut-être auparavant cette infection. Peut-être ai-je sous-diagnostiqué pendant des années.

Renseignement pris, mon associé semble constater le même phénomène, mais nous pouvons aussi faire des erreurs communes.

L'un des traitements utilisés couramment contre la gale est devenu indisponible en pharmacie pendant quelques mois: rupture de stock. On ne sait jamais trop si ces ruptures sont dues à une augmentation de l'utilisation, ou à un changement de répartition des stocks par les laboratoires (vente au plus offrant).

Toujours est-il que je me retrouve devant une augmentation significative d'une pathologie qui n'est certes pas grave, mais contagieuse, et qui peut être considérée comme un marqueur de précarité sociale. Je ne sais pas si je suis seule.

Rien ne se dit à ce sujet dans la presse, et ce n'est pas plus mal, parce que le gros des consultations pour ce motif est passé à expliquer et dédramatiser la situation. Je n'ai pas envie d'essuyer encore dans mon cabinet un vent de panique du type "Si vous vous grattez, consultez votre médecin". On se retrouve à gérer un afflux anarchique de patients affolés, qui échouent aux urgences pour les plus angoissés.

Rien ne filtre non plus dans la presse spécialisée.

Un cabinet, c'est trop petit pour faire des statistiques fiables.

Sommes-nous face à une résurgence périodique de gale comme il semble s'en produire sans raison apparente tous les 30 ou 35 ans, d'après mes bouquins, ou est-on en train de voir les marqueurs sanitaires de nos difficultés économiques?

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A
Bonjour, je découvre votre blog via twitter, que j'aime beaucoup. 6 semaines, c'est peut être un peu tard pour répondre à votre question-et en plus je n'ai pas de chiffres. Mais mon cabinet est une peu plus large que le vôtre et a la chance de comporter une population chiffrée, contrairement à l'Hôpital. Medecin Education Nationale, j'ai 8500 élèves sur mon secteur. Je confirme que depuis 5 ans, je suis de plus n plus souvent saisie de question sur par les écoles. Je n'ai bien sûr pas connaissance de tous les cas, seulement de ceux dont les parents ont prévenu l'établissement. Qui en général saute zeugmatiquement en l'air et sur le téléphone. <br /> Depuis septembre 5 ecoles, dont deux avec cas groupés dans une classe-mais des enfants qui se fréquentaient en famille et avait dormi ensemble.<br /> <br /> Au passage, j'ai également une recrudescence de signalement de coqueluche pour des enfants de 6 à 8 ans, correctement vaccinés avec le vaccin acellulaire.
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A
Votre remarque est intéressante à propos du biais d'information par les familles. J'ai été confrontée au cas de contamination par la gale de deux jeunes filles qui partageaient le même box en internat. Les familles ont averti l'infirmière du lycée, qui a rompu le secret et créé un vent de panique: les deux jeunes filles ont été mises à l'écart par le reste du groupe, les autres ont été trainées chez leur médecin en l'absence de signe clinique. Il nous arrive pour certaines pathologies contagieuses sans gravité mais de &quot;mauvaise réputation&quot;, comme l'impétigo s'il est peu étendu, de ne pas faire signaler pour éviter une stigmatisation.
D
Personnellement,depuis mon internat (genre y a 5 ans), je vois des gales tout le temps, partout, chez tout le monde, tous les âges...mon externe a même fait sa présentation de fin de stage sur le sujet!<br /> Bon jsuis dans le 93 mais qd-même...
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D
Et justement, moi je me gratte les chevilles depuis bientôt 2 semaines, et maintenant les poignets, et j'ai l'impression que ça remonte le long des membres, sans aucune lésion dermato visible... <br /> Je commence à me poser des questions si ça ne pourrais pas être ça...<br /> Comme toi, jusqu'ici je n'en ai jamais vu des gales... Mais j'ai une copine cardio qui l'a eu, alors bon... Personne d'autre dans ma famile ne se gratte, je sis pas quoi faire...
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D
Il semblerait que j'ai bien fait d'attendre, ça me gratte plus. J'ai désigné coupable une crème hydratante très vieille que j'avais ressortie d'un placard. <br /> C'est ma méthode préférée, en ce qui me concerne en tout cas, attendre et voir... ;-)
A
Tu peux te donner du temps et éventuellement faire un traitement d'épreuve. La clinique est rarement typique.
B
Dans le Sud-Ouest, on constate une recrudescence de la gale depuis plusieurs années, avec des épidémies dans les écoles, les maisons de retraite, et comme tu le décris très bien, un vent de panique avec des consultations non justifiées. Et ça ne concerne pas que les personnes en situation de précarité, même s'ils sont majoritaires.
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A
Oups! la formule correcte aurait été votre blog que j'aime beaucoup, via twitter...