30 Décembre 2012
Il y a deux ans, j'ai reçu la visite d'un jeune couple d'étudiants très inquiêts.
Quelques jours auparavant, ils avaient terminé une soirée plutôt convivale en tas dans un canapé avec un certain nombre de leurs congénères afin d'éviter l'illégalité au volant. Ils avaient reçu depuis un coup de fil d'un des participants à cette soirée, qui sortait de chez son médecin traitant avec un traitement pour éradiquer la gale.
Après avoir tapé "gale" sur Google Images, ils ont demandé un rendez-vous EN URGENCE. Essayez, vous verrez, c'est effectivement l'effet que ça fait.
Ils sont arrivés avec plein de questions intéressantes auxquelles je ne savais plus répondre, parce que je n'avais encore jamais vu de patient atteint de la gale, et que j'avais donc oublié cette page de mes cours de parasitologie. Comme ils sont venus un jour particulièrement creux et que nous avions une heure entière devant nous, j'ai ouvert mon placard à antisèches, et nous avons comparé ensemble les dires de mes livres de parasitologie, de maladies infectieuses et de dermato-vénérologie. Ils ne se grattaient pas, nous avons opté pour une simple surveillance, et rien n'est advenu.
Quelques semaines plus tard, une jeune femme me montrait, au décours d'une consultation pour un autre motif, des lésions d'eczéma apparue récemment sur ses poignets et entre ses doigts, dont elle n'arrivait pas à venir à bout avec un traitement local prescrit par son dermatologue. Il m'a fallu enfiler une paire de gants au sens verbal du terme pour lui suggérer une autre hypothèse diagnostique qu'elle estimait moins glorieuse. Un traitement spécifique lui a cependant permis de ne plus se gratter.
La gale n'est en aucun cas une pathologie du manque d'hygiène, c'est plutôt le manque d'hygiène qui entraine les lésions typiques décrites dans nos livres ou visibles sur le net. La "gale du monde", comme on disait il y a un siècle, correspondait aux lésions frustes difficiles à diagnostiquer chez les "gens du monde", ceux qui usaient des premières salles de bain, et c'est bien à celle-là que je suis de plus en plus souvent confrontée.
En revanche, il semble que la gale soit plutôt une pathologie de la promiscuité. Le parasite responsable des lésions est particulièrement frileux, et s'accomode très bien des partages de lit et de vêtement.
Je constate depuis une fréquence accrue d'infestations par la gale. Initialement, c'était l'apanage des étudiants, lycéennes partageant le même box et les mêmes tee-shirts en internat, puis sont venus des familles, des enfants, même des bébés.
Je me suis demandée pendant un temps si je sur-diagnostiquais, mais mes patients se disaient soulagés par les traitements. J'ai ensuite pensé que je négligeais peut-être auparavant cette infection. Peut-être ai-je sous-diagnostiqué pendant des années.
Renseignement pris, mon associé semble constater le même phénomène, mais nous pouvons aussi faire des erreurs communes.
L'un des traitements utilisés couramment contre la gale est devenu indisponible en pharmacie pendant quelques mois: rupture de stock. On ne sait jamais trop si ces ruptures sont dues à une augmentation de l'utilisation, ou à un changement de répartition des stocks par les laboratoires (vente au plus offrant).
Toujours est-il que je me retrouve devant une augmentation significative d'une pathologie qui n'est certes pas grave, mais contagieuse, et qui peut être considérée comme un marqueur de précarité sociale. Je ne sais pas si je suis seule.
Rien ne se dit à ce sujet dans la presse, et ce n'est pas plus mal, parce que le gros des consultations pour ce motif est passé à expliquer et dédramatiser la situation. Je n'ai pas envie d'essuyer encore dans mon cabinet un vent de panique du type "Si vous vous grattez, consultez votre médecin". On se retrouve à gérer un afflux anarchique de patients affolés, qui échouent aux urgences pour les plus angoissés.
Rien ne filtre non plus dans la presse spécialisée.
Un cabinet, c'est trop petit pour faire des statistiques fiables.
Sommes-nous face à une résurgence périodique de gale comme il semble s'en produire sans raison apparente tous les 30 ou 35 ans, d'après mes bouquins, ou est-on en train de voir les marqueurs sanitaires de nos difficultés économiques?