Armance, femme, médecin (et mère) de famille
24 Mai 2020
Il y a 7 ans, une opportunité s'est offerte à moi de travailler comme médecin référent pour des crèches.
Le contexte s'y prêtait bien: installée alors depuis huit ans, je commençais à avoir envie de varier mon activité, de lever le pied sur les consultations, réorganiser un peu ma vie professionnelle et ma vie personnelle. Un médecin supplément venait d'arriver dans mon cabinet, et mon besoin de ralentir mon activité s'est bien accordé avec la nécessité pour lui de démarrer la sienne.
J'ai pu donc assumer cette charge dans un confort relatif: deux après-midis par mois, je m'absentais du cabinet pour travailler dans les établissements, où je finissais à heure fixe, ce qui m'a même permis de consacrer deux soirées par mois à une activité sportive en famille.
Le travail en crèche n'avait rien à voir avec les consultations, et se faisait à un rythme bien moins stressant. Le gros de mon activité consistait à permettre d'assurer l'accueil des enfants du point de vue sanitaire, formaliser des protocoles et des conduites à tenir simples pour permettre au personnel de faire face à des situations du quotidien. Je travaillais dans trois petites structures qui étaient gérées par une petite communauté de communes rurales.
Le temps passant, certains cabinets autour du mien fermant de façon plus ou moins prévue, plus ou moins anticipée, l'activité au cabinet a cru nettement, saturant rapidement le nouvel arrivant.
S'absenter un après-midi entier est devenu trop compliqué à rattraper dans le planning, et il est devenu indispensable de revenir le soir au cabinet après le travail en crèche. Adieu la pause familiale.
Puis les crèches ont "changé de compétence". La communauté de communes a été absorbée par une communauté urbaine. Au quotidien, dans mes missions, rien n'a vraiment changé. Sauf que...
La communauté urbaine m'a longtemps promis un contrat de travail, qui n'existait toujours pas à la date de mon début d'activité. Il a donc fallu que je prévoie une session de travail et l'annule ouvertement le jour même pour qu'une réaction se fasse et qu'un contrat soit rédigé, baissant au passage le taux horaire et augmentant le nombre d'heures sans discussion préalable.
J'ai été sollicitée par la PMI pour des "mises au point", en toute cordialité. On m'y a expliqué que les protocoles établis par le médecin de PMI "lui ont donné beaucoup de travail" et que j'étais sommée de les adopter, tout comme la liste des produits de la pharmacie. Je me suis retrouvée à parlementer, et passer un temps et une énergie considérable à devoir justifier des détails, comme expliquer pourquoi on n'utilisait le paracétamol qu'en sirop et jamais en suppositoire, alors que la communauté urbaine, dans le but d'harmoniser les pratiques, voulait (et finalement a réussi) imposer la gestion d'un stock de suppositoires de quatre dosages différents au frigo. Tout a été rediscuté sur le même mode, pendant des heures, pour aboutir à un statu quo.
J'ai continué à travailler comme avant malgré le ridicule de la situation. Avec les personnels des crèches et les directrices, nous avons totalement refondu les protocoles pour avoir des outils simples et pragmatiques qui puissent les aider. Ces nouveaux protocoles sont hélas à l'état de brouillon depuis plus d'un an. Il faudrait les saisir, comme on a fait il y a sept ans, puis envoyer le pdf dans chaque établissement pour travailler sur le même support, mais... personne ne sait à quelle secrétaire confier la tâche. Il y a sept ans, c'était la communauté de communes, là, c'est la communauté urbaine, ce n'est plus la même personne qui doit s'occuper de ça, et un an après la finalisation du document, on cherche encore.
J'ai songé un temps laisser tomber, mais j'avoue que depuis un an, c'est la curiosité des internes, leur désir d'avoir une expérience de plus qui fait que j'ai continué, pour pouvoir les emmener avec moi.
Est arrivée ensuite l'épidémie de covid.
Avec le confinement, les crèches ont fermé, enfin, j'ai supposé. Je n'ai été avertie de rien, mes coups de fil sont restés sans réponse.
Une directrice m'a adressé un mail un jour pour me demander de préciser une conduite à tenir en cas d'éruption. J'ai cru que sa crèche était restée ouverte, mais j'ai appris plus tard qu'elle avait été détachée dans une autre crèche, et qu'elle me demandait des précisions pour un établissement dont je ne m'occupais pas.
Au vu de ce que je voyais faire depuis mon cabinet, je pensais être mise en chômage partiel pendant le confinement. Il n'en a rien été, rien ne m'a été communiqué, et j'ai continué à être payée pour un travail que je n'ai pas effectué pendant deux mois sans que personne n'y trouve à redire.
Est arrivé le déconfinement et donc la réouverture des crèches. Enfin, j'ai supposé, car rien ne m'a été signifié. Des directives avec une batterie de consignes sanitaires édictées par le ministère de la santé ont été adressées aux directrices de crèches via l'agglomération. Je me suis organisée pour passer dans les établissements la semaine de réouverture afin de tout finaliser, malgré la reprise d'activité soutenue du cabinet. Il m'a fallu mendier un exemplaire des consignes sanitaires aux directrices de crèche, car personne dans l'agglo ni à la PMI n'a pensé que ce document pouvait m'être utile en tant que médecin référent des établissements.
J'ai l'impression d'avoir fait bouger des choses, mais d'être au bout de ce que je pouvais faire bouger. Une lassitude et une défiance se sont installées, me trouvant confrontée à un immobilisme institutionnel que je ne peux plus tolérer après les efforts d'adaptation produits ces derniers mois.