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Armance, femme, médecin (et mère) de famille

Révolution culturelle.

Le journal "Les Echos" est loin de faire partie des sites où je me promène le plus souvent sur le Web. L'économie et les finances, c'est vraiment pas mon truc, et je l'assume totalement.

Un article a été porté à mon attention via twitter, Je vous invite à y jeter un oeil attentif en cliquant sur ce lien. Cet article a été ensuite repris dans la presse médicale et dans la presse généraliste.

Le titre est accrocheur, "Médecins, les délais s'allongent encore pour les consultations", assorti des mentions "exclusif + document", de quoi attirer l'oeil du lecteur, j'en ai fait partie...

L'article s'appuie sur une enquête de l'IFOP. Si le titre laisse à penser que l'article est une analyse d'une étude sur les délais effectifs pour obtenir des rendez-vous de consultations chez un médecin en France, en fait, le contenu de l'article consiste en un commentaire d'un sondage que l'IFOP a réalisé et qui concerne principalement la perception qu'un échantillon de Français ont des difficultés d'accès aux soins.

Effectivement, dans ce sondage, les délais d'attente pour une consultation sont cités le plus fréquemment comme un obstacle à l'accès aux soins, mais il s'agit bien là d'un sondage qui vise à explorer les perceptions que les patients ont de leur accessibilité aux soins, et non de ce qui se passe dans la vraie vie. La synthèse de l'étude est d'ailleurs accessible en bas de page, et les titres des graphiques sont bien explicites, bien différents de l'intitulé particulièrement anxiogène de l'article.

L'article avance quelques explications à cet état de fait, dont la féminisation de la médecine, le désir de disposer de temps libre et l'appât du gain. La luxure, l'avarice et la paresse, voilà déjà trois péchés capitaux responsables de nos maux.

Au passage, le journaliste a laissé trainer quelques approximations dans le texte: les médecins libéraux ne perçoivent pas de salaire et n'ont pas la protection sociale qui y est associée (les femmes médecin en savent quelque chose), et, habitant dans le Sud-Ouest, je peux affirmer avec certitude qu'il y existe des ophtalmologistes, j'en ai rencontré!

Il est vrai que les délais d'attente pour une consultation s'allongent, particulièrement dans certaines spécialités.

L'article mentionne un délai moyen de 57 jours pour obtenir une consultation en gynécologie. Mais combien de femmes ignorent que les actes de gynécologie médicale courante, frottis, contraception, peut être pratiqué dans un délai plus court par un médecin généraliste ou une sage-femme?

Le délai moyen annoncé pour obtenir un rendez-vous en médecine générale s'allonge, il serait passé à six jours, selon l'opinion et/ou l'expérience des patients.

Je ne peux pas expliquer ce qui se passe dans le planning d'un gynécologue, d'un dermatologue ou d'un cardiologue, je n'y suis jamais allée, mais je peux donner un éclairage sur ce qui se passe quotidiennement dans celui d'un généraliste.

Alors voilà.

Au commencement, quand le Créateur créa le médecin généraliste, il en fabriqua plein, en se disant que ça pouvait être utile. Il créa en même temps la consultation sans rendez-vous. Il vit que cela était bon, et choisit le lendemain pour se reposer, en laissant quand même une de ses créatures de garde au cas où, on ne sait jamais.

Donc, au commencement, en période de pléthore médicale dans les villes et les campagnes, aux balbutiements du remboursement des consultations par la collectivité, était le médecin généraliste qui recevait sans rendez-vous.

C'était pratique pour tout le monde.

Les patients venaient le jour où ils l'avaient décidé, aux heures indiquées. Les horaires de consultation affichés indiquaient les heures auxquelles les patients pouvaient se présenter. Ils s'installaient et attendaient leur tour. S'ils hésitaient à faire consulter un de leur proche, ils pouvaient l'emmener avec eux, pour profiter du trajet.

Une salle d'attente, c'est parfois comme un restaurant: entre un vide et un plein, le gastronome choisira souvent celui qui regorge de client. Alors tous les moyens sont bons pour le remplir: happy-hour, amuse-bouches offerts avec l'apéro, cuisine à la carte ou buffet en self-service...

Une salle d'attente bien pleine était signe de renommée et gage de fortune médecin, mais aussi synonyme d'attente interminable pour les patients.

Dans les périodes d'activité tendues, sont nées les deux grandes stars de la salle d'attente pleine que sont le "entre-deux", et le "du temps que vous y êtes".

Le "du temps que vous y êtes", souvent suivi de "je vous ai amené le petit au cas où", exprime la demande en fin de consultation d'un service ou d'un avis, que le médecin pourra à loisir transformer en une autre consultation, qu'il choisira ensuite de facturer ou non. Il sous-tend que ça évitera au patient d'éventuellement avoir à revenir, et fera peut-être éviter de perdre du temps plus tard.

L'"entre-deux" est le privilège suprême qu'un médecin débordé puisse offrir à un patient impatient: accéder en toute célérité et avec un minimum de réflexion à sa demande, sur un coin de bureau, au nez et à la barbe de la salle d'attente. L'"entre-deux" se fait souvent à l'argumentaire au médecin et parfois à la salle d'attente que le problème est simple à résoudre et qu'il va va faire gagner du temps (et de l'argent, car le temps, c'est de l'argent) à tout le monde en faisant comme ça. En fait, seul le bénéficiaire gagne du temps, sans se rendre compte qu'il perd très souvent en qualité de soin. Mais le gain de temps et la sensation de bénéficier d'un privilège ont parfois plus de valeur aux yeux de certains.

Pour le médecin, la consultation sans rendez-vous permettait de recevoir le "tout venant", au fur et à mesure, sans contrainte de durée d'acte, et de consacrer à chaque patient et à chaque problématique le temps qu'il estimait nécessaire. En période d'afflux de patient, le temps devient impossible à maîtriser, et le médecin pouvait atteindre des horaires records avant de pouvoir éteindre le lustre de la salle d'attente.

A cette glorieuse époque, le délai d'attente (exprimé en jours, comme dans l'enquête sus-citée) pour obtenir une consultation chez un généraliste était immuable et égale exactement à zéro jours: on ne pouvait être reçu qu'en se rendant au cabinet et en y faisant le pied de grue, donc le jour-même, quelqu'en fut le motif.

Sans rendez-vous, on vient quand on veut, on ne sait pas quand on passe, mais c'est toujours le jour-même.

Fort de son succès, mais soucieux d'effectuer quelques économies, le Créateur se mit à fabriquer moins de généralistes, se disant qu'ils coûtaient peut-être un peu cher à la collectivité, et que les patients consulteraient moins s'il en était moins. Le Créateur oublia qu'entre l'allongement de l'espérance de vie, une natalité qui se maintient au-dessus du seuil nécessaire au renouvellement des générations et l'arrivée de travailleurs d'autre pays, la population se verrait augmenter et vieillir inexorablement, réclamant toujours plus de soins.

Le médecin généraliste se trouva avec une salle d'attente encombrée de patients qui s'écoulaient toujours un par un par la porte du bureau puis celle de a sortie, car dans notre culture, la consultation n'est pas un acte collectif. Quoi qu'on fasse, à de rares exceptions près, on ne pourra toujours soigner les patients qu'un par un.

Le Créateur se dit que l'informatisation pouvait améliorer un peu le débit, ou en tous cas libérer le médecin de certaines tâches chronophages. Pour les médecins qui ont adhéré à ce système, la transition fut rude, laborieuse, mais avec un peu d'insistance, ils découvrirent que le temps qu'ils ne passaient plus à essayer de re-déchiffrer leur propres fiches et recopier des ordonnances, ils pouvaient le passer à s'occuper un peu plus des patients, ou en voir un peu plus nombreux...

Craignant que les patients ne s'égayent dans la nature le Créateur demanda aux patients de choisir un médecin traitant unique, et désigna le médecin généraliste comme pivot du système de soin. En plus de recevoir les patients au coup par coup et au fur et à mesure, il lui fallait faire un truc pas tout à fait nouveau qui consistait à organiser les soins des patients.

Pour qui se passionne pour la nezquicoulologie bénigne, la coordination des soins consiste en une distribution de patients aux spécialistes environnants et éventuellement au classement des courriers reçus en retour.

Pour qui n'accorde pas la priorité aux pathologies virales bénigne saisonnières, pourtant financièrement rentables et intellectuellement pas trop denses, La prise en charge globale des patients et la coordination de leurs soins nécessite un minimum d'aménagements. Comment organiser les soins des autres si on ne s'organise pas soi-même?

Alors pour éviter les écueils que sont le renoncement aux soins devant trois heures d'attente dans une salle confinée, l'aggravation inexorable de l'état d'un patient discret et "pas bien du tout" qui attend sagement son tour, ou le pétage de plomb par épuisement du médecin, arriva la consultation sur rendez-vous.

Pour les patients, il a fallu dans un premier temps... prendre rendez-vous, c'est-à-dire prendre contact avec le cabinet pour convenir d'un jour ou une heure.

Le délai d'attente est passé brutalement de 0 jours à 0 jours et quelques, puisqu'il devenait maintenant possible de prévoir un rendez-vous à l'avance.

Comme la médecine n'est pas une science exacte, et comme les patients sont tous uniques avec chacun leur façon d'exprimer les choses et chacun leur problématique, il a été compliqué au début pour le médecin de prévoir à l'avance combien de temps il pouvait consacrer pour chaque patient.

Les modes de calcul sont divers. On peut diviser le temps qu'il passe habituellement en consultation par le nombre de consultations facturées, on obtient une durée d'environ dix-sept minutes. Pas de chance, soixante n'est pas un multiple de dix-sept, alors pour plus de simplicité, on découpe une heures de travail en consultations de quinze ou vingt minutes, c'est selon.

Un autre mode de calcul pourrait être d'estimer la recette journalière attendue, la diviser par vingt-trois, arrondir au nombre entier le plus proche. Ensuite, on prend le nombre d'heures de travail désiré dans la journée, on le divise par le nombre de consultation nécessaires estimées et on case dans le... Ah ben non, ça marche pas.

Le médecin fut satisfait de cette trouvaille.

Il pouvait enfin commencer à maîtriser la durée et l'intensité de son travail. Mais comme la durée calculée du rendez-vous est une moyenne, et que les patients sont tous singuliers, il s'est avéré très vite difficile de tous s'en occuper avec une durée strictement égale. Entre le patient peu loquace qui désire juste renouveler un traitement pas compliqué et surtout fuir le cabinet parce que venir ne l'enchante pas, et la patiente affable qui occupe les lieux avec sa liste de maux qu'elle a préparée pour surtout n'en oublier AUCUN, difficile de tenir le chrono à tous les coups.

Le médecin retrouva un peu de fluidité dans son activité, mais ne put toujours pas se passer de salle d'attente.

Il faut dire que, si beaucoup de patients furent d'emblée conquis à l'idée qu'ils savaient quand ils pouvaient accéder à leur médecin à une demi-heure près, beaucoup eurent des difficultés à se projeter au-delà de la journée: " On a toujours consulté notre médecin le jour-même, alors sur rendez-vous, on veut bien, mais le jour-même". Voici comment le renouvellement d'un traitement prescrit pour trois mois ou d'un contraceptif prescrit pour un an est resté une urgence aux yeux des patients: "quand y'en a plus... ben y'en a plus, et il en faut pour demain, donc c'est urgent".

Il fallut un certain temps pour que tendent à disparaître les "entre-deux" et les "du temps que vous y êtes", mais les stars restent dans les mémoires collectives pendant de longues années.

Le médecin qui avait tenté de mieux s'organiser en s'informatisant, en créant un planning et en le confiant à une secrétaire pour ne pas être interrompu pendant ses consultations restait tout de même le soir un peu amer. Lorsqu'il faisait le bilan de sa journée, il se rendait compte que tout ne fonctionnait pas comme il l'aurait voulu pour travailler.

Le petit bébé de quinze jours, il aurait préféré qu'il ne stationne pas dans la salle d'attente en fin de journée.

La patiente en chimiothérapie aussi, d'autant qu'il fallait appeler son oncologue et qu'il était déjà parti de l'hôpital quand elle est venue. Si elle avait eu son rendez-vous en début de demi-journée, tout irait mieux pour elle.

Le petit écolier dont la mère a appelé pour venir immédiatement chouinait parce qu'il avait encore de la fièvre et mal à l'oreille quand il a été examiné. Une ou deux heure plus tard, avec l'effet du paracétamol, il aurait certainement été calmé et mieux examiné.

Il n'avait prévu que vingt minute pour ce patient qui craquait, et qui avait besoin de plus de temps pour s'exprimer. Il s'est retrouvé encore une fois devant ce dilemme: laisser le patient s'exprimer ou prendre du retard.

Comme pour ce patient qui totalise à lui seul quatre pathologies compliquées: lorsqu'il vient tous les trois mois, il faut toujours au moins une demi-heure pour faire le tour de ses problèmes, gérer le traitement, les examens, organiser les rendez-vous avec les correspondants spécialistes...

Et après tout ça, les appels pour les urgences du jour se rajoutaient en fin de journée. Il voyait les patients après la fermeture de la pharmacie. Alors ceux-ci avaient le choix en sortant: aller à la pharmacie de garde, ou attendre le lendemain. Le plus souvent, ils attendaient le lendemain. Alors à quoi bon faire des consultations en nocturne?

Alors, toujours à l'affut de nouveauté qui puisse améliorer la qualité de sa pratique, le médecin se mit à affiner son planning en fonction des patients qu'il connaissait et des problématiques qu'ils annonçaient. Le métier de secrétaire médicale devint alors de plus en plus technique.

Il devenait logique qu'un frottis qu'il faut faire tous les trois ans puisse être programmé la semaine prochaine à une heure où la secrétaire serait là pour ne pas être dérangé par le téléphone pendant l'acte.

Il devenait normal qu'une vaccination que les enfants doivent recevoir tous les cinq ans soit prévue un matin tranquille pendant les prochaines vacances scolaires, plutôt que ce soir après le boulot, à l'heure du repas, entre deux patients fébriles qui ont eux besoin de venir le jour même.

Ca permet aussi de garder chaque jour des plages disponibles pour les urgences à des heures ou les soins pourront se continuer à la sortie du cabinet.

Mais pour beaucoup de patients, le désarroi fut grand. Tout d'abord, on s'est mis à les questionner sur le motif de leur consultation au moment de la prise de rendez-vous. Ils devaient décider à l'avance qui viendrait. Il devenait difficile de pratiquer le "du temps que vous y êtes j'ai amené le petit", et impossible de tenter l'"entre-deux".

Ensuite, ils n'étaient plus les seuls à avoir une exigence dans le choix du moment de leur rendez-vous, et celles du médecin ne correspondait pas nécessairement aux leurs. La priorité médicale a commencé à prendre le pas sur la convenance personnelle. A la bourse aux arguments, le "c'est urgent, on part en vacances demain" a subi une dévaluation historique.

En demandant un rendez-vous pour un vaccin, ils se voyaient proposer un délai de plusieurs jours. Un vaccin, c'est vite fait, mais c'est pas urgent, ça peut attendre quelques jours. La réaction des patients a été au départ souvent la même: "pourtant, c'est pas le temps que ça prend! Qu'est-ce que ça va être si on est malade!", "on peut toujours mourir!". Le rendez-vous pour le vaccin est proposé avec un délai justement pour tenter de garantir l'accès le jour même à ceux qui sont malades ce jour-là.

Alors oui, le délai de consultation pour un acte non urgent a commencé à augmenter, tout simplement pour rationaliser les soins, préserver leur qualité, tamponner la pénurie de médecins qui commence à se faire sentir, et préserver une accessibilité le jour même aux patients qui en ont besoin.
Il est passé de 0 jours à... parfois beaucoup de jours en fonction du motif de consultation et de la disponibilité des protagonistes, car les patients comme les médecins ont des contraintes professionnelles et familiales.

La presse régionale relaye de façon répétée des anecdotes illustrant la difficulté de trouver un médecin le jour même pour des pathologies bénignes, ou l'impression de ne pas pouvoir disposer soi-même d'un médecin selon ses propres exigences, comme ici, alors que la logique de santé publique serait d'appeler au civisme, comme il avait été fait il y a quelques années pour rationaliser l'usage de la visite à domicile.

Mais la presse grand public n'est pas là pour faire de la santé publique ni de l'éducation sanitaire.

L'article des Echos insiste pour faire savoir que ce sont plus les délais de rendez-vous qui sont dissuasifs que les coûts de consultation. Il laisse aussi entrevoir qu'un frein à l'installation de médecins dans certaines spécialités est la difficulté ou l'impossibilité de pratiquer des dépassements d'honoraires qui permettent de couvrir les investissements nécessaires au fonctionnement d'un cabinet.

On peut se demander alors ce que vient faire un article alarmiste sur la perception que les patients ont de la disponibilité de leur médecin dans une revue d'économie et de finances.

Il suffit de se rendre sur le site le lendemain pour y lire un autre article présentant les perspectives que la nouvelle loi de santé et surtout l'instauration du tiers-payant vont apporter aux mutuelles.

Fort de son organisation, son ordinateur et de sa secrétaire, le médecin généraliste un peu idéaliste sur les bords se sent finalement très peu de chose.

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B
J'ignore dans quel coin vous exercé, mais notre médecin généraliste c'est 6 jours pour une urgence (enfant avec 40 et otite par exemple a moins que vous le classiez dans la bobologie)
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D
Bonjour, belle analyse, en effet si l état et la presse permettait d éduquer les patients de façon à ce qu' ils comprennent mieux le mode d emploi, l l y aurait peut être moins d amertume, vous pourriez adresser votre article à Mme Touraine, ça serait super..
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D
Bonjour, belle analyse, en effet si l état et la presse permettait d éduquer les patients de façon à ce qu' ils comprennent mieux le mode d emploi, l l y aurait peut être moins d amamertume, vous pourriez adresser votre article à Mme Touraine, ça serait super..
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N
Bonjour, je n'ai de mot pour exprimer la justesse de votre article. Merci.
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M
Merci ! Tout est dit !
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