Armance, femme, médecin (et mère) de famille
22 Juillet 2014
Les résultats du baccalauréat viennent de tomber, les jeunes reçus ont eu droit à une coupette de champagne familiale et officielle, puis sont allés fêter ça dignement avec des copains.
Alors c'est avec une pesanteur capillaire et une langue pâteuse qu'il faut maintenant choisir une orientation. Le bachot, c'est pas tout, il faut en faire quelque chose.
Alors pour ceux que les études médicales tentent, je vais délivrer quelques informations... informelles.
Tout d'abord, pour ceux qui n'habitent pas dans une ville universitaire, il va falloir déménager et vous rendre dans une agglomération dotée d'un Centre Hospitalier Universitaire.
Certains vont quitter le giron familial pour la première fois de leur vie, et se retrouver un beau matin trainant une valise sur le quai de la gare d'une grande ville encore inconnue.
Grâce à la vidéo-surveillance, on peut reconnaître tous les gens qui circulent sur le quai, dans ces grandes villes, on ne sait jamais...
Le stress avant le début de l'année universitaire, c'est de trouver un logement. L'immobilier est cher dans les grandes villes, et toutes les bourses ne sont pas rebondies.
Dans certaines villes, il est même habituel de rentrer bredouille de la chasse au cagibi-pas-trop-cher-sous-les-toits, et le paiement d'une caution n'est pas toujours compatible avec le passage du permis de conduire, l'achat d'un voiture, même de dix-neuvième main.
Comme il faut faire des choix, sachez qu'il n'est nullement avilissant de circuler à vélo ou dans les transports en commun, vous y gagnerez financièrement.
Pour ceux qui n'auront pas la possibilité ou l'envie de trouver un minuscule logement pour eux tout seuls, d'autres solutions existent: appartements en colocation, cités universitaires, foyers, avec leurs avantages et leurs inconvénients.
Ceux qui n'ont pas encore vécu en internat ou en foyer découvriront les joies la vie collective, la convivialité, le soutien mutuel dans les périodes un peu dures.
Chaque médaille a son revers: à la longue, la convivialité peut parfois se muer en promiscuité.
Les études de médecine, c'est un peu long, avec un contenu dense mais pas trop compliqué à saisir, mais il faut aller bien jusqu'au bout pour pouvoir faire quelque chose derrière. On ne peut pas voir de diplôme si on s'arrête en route.
Pour l'instant, il faut compter neuf ans pour être généraliste, et plus si vous choisissez une spécialité ou si vous désirez approfondir un domaine particulier.
En fait, comme les connaissances et les pratiques évoluent en permanence, il faut se former toute sa vie, même après avoir obtenu son diplôme.
Chaque année d'étude est sanctionnée par un examen, et il faut encore rédiger et soutenir une thèse d'état pour pouvoir voler de ses propres ailes professionnellement.
Il faut passer des examens tous les ans, mais le diplôme qui couronnera vos études, c'est la thèse.
Alors une fois l'inscription en faculté faite, c'est parti pour le premier cycle.
Il dure deux ans.
On y apprend surtout les sciences fondamentales, biochimie, physiologie, anatomie...
Le premier fondamental: l'anatomie. L'ostéologie avant la myologie.
Le contenu des cours n'est pas forcément difficile à comprendre. Ce qui rend la première année compliquée, c'est qu'elle est sanctionnée par un concours très sélectif, et que rapidement, l'objectif des étudiants n'est plus d'apprendre des choses utiles pour l'avenir, mais d'arriver dans les premiers au concours.
Pour parvenir à ses fins, le plus souhaitable est de ne pas se laisser noyer dès le début des cours par la masse de connaissances à apprendre. Chacun trouvera sa technique.
Il faut avouer que l'ambiance dans les amphithéâtres n'est pas la plus chaleureuse cette année là, surtout à cause de la concurrence entre étudiants induites par la sélection.
Pour réussir, il faut commencer à travailler de façon soutenue dès les premiers cours.
Pour y arriver, il ne faut pas se laisser émouvoir par ceux qui comptent sur des techniques moins glorieuses que le travail personnel pour parvenir à leurs fins.
Il faut être honnête: la concurrence dans les amphithéâtres de première année d'études médicales incite peu à l'empathie.
Ceux qui sont reçus et qui choisissent les études médicales ont une sensation d'aboutissement le jour des résultats, tant l'effort fourni a été intense.
Ils réalisent vite l'année suivante qu'ils sont au pied du mur: il n'y a plus qu'à.
La seconde année du premier cycle ressemble beaucoup à la première... la pression du concours en moins. Plus besoin d'être le major de la promo pour espérer avoir un diplôme, il suffit d'avoir la moyenne pour passer à l'année suivante, avec même une séance de rattrapage en septembre.
C'est enfin le moment de découvrir vraiment les à-côtés de la vie estudiantine.
A partir de la troisième année, commence le second cycle.
L'enseignement devient plus médical, axé sur les pathologies et les traitements, spécialité par spécialité.
Le troisième cycle, ce sont aussi les premiers pas dans le monde de l'hôpital: les stages d'externat.
Au cours de leurs stages, externes commencent à avoir de vrais contacts humains avec les patients et à se forger leur style relationnel. Ils découvrent l'hôpital, ses codes, sa hiérarchie.
Beaucoup d'entre nous se souviennent avec émotion de leur première matinée en blouse blanche dans un service hospitalier, accueillis par cette phrase solennelle: "Allez-y, le chef de service va vous recevoir dans son bureau".
Selon les stages, les tâches dévolues aux externes, censées les former au monde et au métier médical, sont très diverses.
Le plus souvent, elles consistent en tenir des dossiers, classer des papiers, faire des électro-cardiogrammes, apprendre à faire quelques gestes médicaux.
Certaines ont un potentiel formateur moins évident, comme porter des prélèvements au laboratoire à l'autre bout du CHU en passant par les sous-sols, la nuit de préférence, ou nourrir les poissons de l'aquarium de la salle d'attente.
Pour rendre l'activité passionnante et formatrice, le mieux pour un jeune externe est de se choisir un interne, agripper le pan de sa blouse et le suivre partout.
En faisant leur premier stage de chirurgie, ils découvrent l'ambiance si particulière des blocs opératoires.
La première fois, les sens sont y mis à l'épreuve, avec la lumière des néons et des scialytiques, le cliquetis des instruments, le vrombissement de l'aspiration, et l'odeur des produits désinfectants. Le novice mobilise alors toute son énergie à faire bonne figure face à ces individus en pyjama, sarrau, masque et calot qu'on ne peut reconnaître qu'à la voix ou au regard, puisque seuls les yeux émergent de leur uniforme.
Lequel d'entre nous ne se souvient pas de sa première (et parfois dernière) incursion dans une salle d'opération?
L'externat, c'est aussi les premières gardes de nuit entière, avec retour chez soi au petit matin, accompagné de ses propres courbatures, suivi par le parfum lourd et tenace du service des urgences en fin de garde, à l'heure où tous les autres arrivent après avoir dormi normalement et pris une douche et un petit déjeuner.
C'est à ce moment qu'on découvre qu'elle est vraiment bonne, la douche d'après la garde avant d'aller se coucher pour récupérer.
Il est vivement conseillé d'éloigner les moins de seize ans de votre écran avant de visionner la séquence suivante: certaines images peuvent choquer les âmes sensibles.
La fin du second cycle est sanctionnée par un examen qui fut un concours et qui y ressemble encore beaucoup: l'Examen Classant National (ECN).
Cet examen est national et porte sur l'ensemble des cours de second cycle. Il vise à établir un classement en fonction duquel le étudiants pourront choisir une spécialité et le CHU où ils se formeront.
Même si, au bout du compte, tous les étudiants obtiendront quelque chose, l'enjeu est majeur pour eux, et la complexité des notations et des choix fait que, en quelques épreuves, l'avenir se joue à très peu de choses.
Après quatre ans de préparation, autant arriver à l'heure le jour de l'examen...
Une fois les ECN validés, les choix faits, commence le troisième cycle, où se déroule l'internat, et les premiers pas des étudiants dans leurs fonctions et leurs responsabilités de médecin.
L'internat dure trois, quatre ou cinq ans selon les spécialités, fractionnés en stages de six mois chacun.
Quelque soit leur choix, il arrive souvent aux étudiants de devoir déménager à ce moment-là.
Pour ceux qui, comme moi, ont fait leurs études au plus creux du numérus clausus et dans une région étendue, ils ont pu, pour combler la pénurie de médecins dans les petits hôpitaux de périphérie, goûter aux plaisirs des stages successifs à plus de trois heures de route ou de train du CHU, et par voie de conséquence aux déménagements à haute fréquence ou au logement dans les chambres dédiées des hôpitaux.
L'internat, c'est un travail à plus que plein temps, avec un salaire pas très élevé, mais qui permet enfin de sortir de la dépendance financière pour les uns, et de l'enchaînement de petits boulots pour les autres.
Comme pour l'externat, l'arrivée sur le lieu premier stage est un moment fort: nouvelle fonction, nouvel hôpital, nouvelle équipe, nouvelle ville, parfois loin.
Je ne sais pas si les postes existent toujours, mais dans ces petits hôpitaux, les internes cohabitaient à peu nombreux, parfois quatre seulement.
Autant dire que pour parvenir à partager pendant six mois sans accroc le travail le jour, les gardes ou l'internat la nuit, il faut un caractère plutôt conciliant et un bon facteur chance.
L'internat offre quand même quelques bons moments.
L'internat, ce sont les premières gardes en tant que médecin.
Le jeune interne doit faire face à toutes les situations qui se présentent à lui aux urgences ou dans les services, auxquelles il n'a pas toujours été préparé. Ceci ne se fait pas toujours dans la sérénité.
Dès le début, la sonnerie du téléphone ou du bip la nuit déclenche de façon conditionnée une montée d'adrénaline, avec le recul pas toujours en adéquation avec l'objet de l'appel. Mais les premières gardes, c'est un peu comme ça, pour peu que le médecin sénior ne soit pas sur place, et que le jeune interne réalise qu'il doit gérer tous les problèmes quels qu'ils soient, en n'appelant le sénior par téléphone qu'en dernier recours.
Le temps passant, et la formation avançant, l'expérience s'acquière petit à petit.
Le travail devient plus valorisant et plus plaisant.
Les internes les plus âgés commencent à se sentir à l'aise avec leurs fonctions, et peuvent même aider les moins expérimentés à s'y retrouver.
Les médecin sénior doit alors rester vigilant pour que l'interne aguerri ne tombe dans le piège de l'excès de confiance en soi.
Au fur et à mesure des stages, le jeune médecin progresse, devient autonome, fiable et efficace.
Une grande majorité des stages comprennent des gardes dans les services d'urgence, de jour comme de nuit.
Les urgences, c'est formateur, pour un jeune médecin, car toutes les situations s'y retrouvent, même les plus alambiquées. C'est là qu'ils apprennent à être polyvalents.
Entre les effets du numérus clausus et l'augmentation du recours aux urgences par les patients, les gardes de nuit et de week-end induisent parfois chez le médecin en formation une certaine saturation en cours d'internat.
Le burn-out des internes est un phénomène largement sous-estimé.
Le rythme de travail avec les changements, les déménagements répétés ou les temps de trajet à rallonge sont parfois compliqués à concilier avec une vie personnelle.
Parce que si on compte bien, deux années de premier cycle, auxquelles on ajoute quatre de second cycle font six. Un étudiant qui a environ dix-huit ans au moment de son inscription en faculté en aura au moins vingt-quatre au début de son troisième cycle, et devra parfois renouer avec la vie collective de l'internat.
Depuis plusieurs décennies maintenant, le métier se féminise. Plus de la moitié des futurs médecins sont des femmes.
Les universités et hôpitaux ont été les premiers à observer la féminisation du métier, mais n'ont absolument ni anticipé ni pris en compte ses conséquences combinée avec un allongement des études: les étudiantes font des enfants.
Les aménagements spécifiques sont quasi-inexistants.
Les universités tiennent rarement compte de la situation familiale des étudiants-parents, et il arrive même parfois que les étudiantes soient déclassées dans les listes pour le choix de stage à leur retour de congé-maternité.
Les enfants des internes dont les horaires de travail sont tout sauf de bureau n'ont toujours pas accès aux crèches des hôpitaux. Pour faire garder Bébé, tous les moyens sont bons: grand-mère, assistante maternelle souple (qu'on ne remerciera jamais assez), et recrutement dans les couloirs de l'hôpital de petits externes fauchés et motivés pour arrondir leurs fins de mois en faisant quelques heures de baby-sitting.
Un ami qui s'était retrouvé Papa dès sa troisième année d'études m'a confié un jour: "tu sais, on y arrive toujours".
C'est vrai, on finit toujours par y arriver, mais avec l'amère sensation qu'aux yeux de la faculté, la maternité pendant les études s'apparente quand même à une faute.
Ok, j'exagère un peu, mais c'était dommage de pas la caser, celle-là.
Une fois l'internat fini, l'étudiant pense qu'il peut enfin se défaire de sa blouse et gambader dans la nature.
En fait, non!
On ne se défait pas comme ça de son statut d'étudiant. Il faut préparer la thèse: trouver un sujet, un maître de thèse que ça intéresse, et commencer un bibliographie.
L'informatique a bien simplifié les choses, mais il faut rechercher des articles en lien avec le sujet, les lire, trier, sans se faire déborder.
Ensuite, travail, relevés, rédaction...
Pendant ce temps, il faut bien gagner sa vie, alors c'est le moment de faire des remplacements, ça permet de joindre les deux bouts en gardant un peut de temps pour le consacrer à la thèse.
Ca permet aussi de faire ses premiers pas en médecine libérale, peser les avantages et inconvénients des différents modes d'exercice.
Le jeune médecin découvre l'exercice avec des patients au-dehors de l'hôpital, ce qui a peu de chose à voir avec l'exercice qu'il pratiquait jusque là.
ans un cabinet médical, les relations avec les patients sont très différentes de ce qu'elles sont à l'hôpital.
Il ne faut pas non plus trop s'attarder dans cette période un peu bohème: le Conseil de l'Ordre donne trois ans pour soutenir la thèse après la fin de l'internat, faute de quoi, il ne renouvelle pas les licences de remplacement.
Donc, finit par arriver le jour tant attendu de la soutenance, présentation du travail de recherche aux huiles universitaires.
Empreint d'émotions, ce moment reste très solennel, à la grande joie des familles.
Voilà, à la fin de la soutenance, le jeune médecin prononce enfin le serment d'Hippocrate pendant que ses parents et parfois ses enfants écrasent une larme.
Il peut maintenant prétendre au titre de Docteur en Médecine.
Il part arroser ça, avant de commencer une nouvelle vie.