Armance, femme, médecin (et mère) de famille
28 Mai 2014
Il nous a fallu quelques heures, lors du dernier remaniement ministériel, pour savoir le nom de notre ministre de la santé: dans le feu de l'action, tous les portefeuilles ont été redistribués, Marisol Touraine en a reçu un intitulé "affaires sociales", et aucun autre ne répondait au doux nom de "santé". La santé a déjà été associée aux affaires sociales, mais il fut un temps avec le travail, à une autre époque à la jeunesse et aux sports.
Ce n'est donc qu'en soirée, lors du dernier remaniement ministériel, que nous avons appris qu'il y avait bien un portefeuille ministériel intitulé "santé", et qu'il était encore accolé à celui des affaires sociale.
Tout ça pour dire que j'ai entendu ces jours-ci le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, faire semblant de se préoccuper de santé publique.
Pour justifier l'"évacuation" ou le "démantèlement", je laisse le choix du mot au lecteur, de trois camps de migrants au centre de Calais, le ministre et le préfet ont qualifié cette opération de "sanitaire". L'argument est qu'une bonne partie des habitants de ces camps sont atteints de la gale, et que l'action engagée ce matin viserait à leur permettre de se traiter et de retrouver des conditions de vie qui les prémunirait d'une rechute et éviterait une dissémination de la maladie qui semble se montrer plus souvent dans ce département depuis quelques années, à en croire les journalistes qui en parlaient déjà sur suggestion de l'ARS en 2012.
Le "démantèlement"-"démontage"-"évacuation"-"opération sanitaire" des lieux a donc eu lieu ce matin, sous le regard aiguisé des journalistes. Si on en croit ces derniers, la plupart des migrants avaient déjà déserté les lieux, ceux qui étaient encore présents se sont vu proposer un passage dans un "lieu médical" pour pouvoir prendre une douche et recevoir un traitement.
Mais est-il étonnant que des personnes qui vivent dans la peur du contrôle et de l'expulsion renoncent à suivre ceux-là même qui viennent détruire leur abri en leur proposant une solution pour le moins nébuleuse?
Les Bulldozers ont achevé le travail.
Les migrants iront s'installer plus loin, sans traitement ni prise en charge pour la plupart, en attendant de trouver une autre solution ou de parvenir à leurs fins, dans des conditions d'existence tout aussi dures.
En attendant, politiques et journalistes ont agité la gale pour faire peur au petit peuple.
La gale, qui encore maintenant est associée à la misère et au manque d'hygiène...
Annoncer un diagnostic de gale demande encore de nos jours de grandes précautions, alors que c'est une maladie tout à fait bénigne et qui se soigne bien. Les réactions sont souvent violentes, et vont de "Non, c'est pas possible, je ne suis pas comme ça, moi!" à " Mais je me lave, enfin!".
C'est une maladie pas grave, mais très désagréable et contagieuse. Alors, pour bien la traiter, il faut traiter simultanément le patient et son linge, ce qui peut parfois être un peu compliqué en institution, ou simplement dans une famille nombreuse qui, par définition, brasse BEAUCOUP de linge.
Non, la gale n'est pas une maladie honteuse, ni la punition des crados, mais elle est encore vécue ainsi.
D'ailleurs, le diagnostic est plus difficile à faire pour les gens qui se lavent souvent, parce que leurs lésions sont peu reconnaissables, et ça leur laisse le temps de contaminer plus de monde.
La gale est en recrudescence depuis environ trois ans, et, pour ceux qui ne travaillent pas auprès de patients, il suffit de chercher sur les sites des différentes Agences Régionales de Santé pour s'apercevoir qu'elles la signalent toutes: la gale est plus fréquente sur tout notre territoire depuis plusieurs années.
Les choses se sont d'ailleurs compliquées il y a quelques mois, quand l'un des laboratoires pharmaceutiques qui fabriquait l'un des traitements est tombé en rupture de stock. On ne trouvait plus le seul traitement qui soit utilisable chez les enfants qui, par ailleurs, souffraient d'asthme.
Je n'avais jamais vu de gale auparavant, et j'en vois régulièrement depuis trois ans, pourtant, mon cabinet est loin de Calais.
Si la gale n'est pas la maladie du manque d'hygiène, elle est plutôt celle de la promiscuité, de l'échange de vêtement ou du partage de lit.
Les modes de contamination que j'ai pu observer sont divers, et n'ont pas de caractère social:
- des étudiants qui ont fini une soirée arrosée dans le même canapé,
- des lycéennes qui ont échangé leurs tee-shirts,
- deux familles qui ont partagé les serviettes de bain autour de la piscine de la villa qu'ils avaient louée en commun,
- des ouvriers sur des chantiers d'altitude qui dormaient dans une cabane de chantier serrés les uns contre les autres pour lutter contre le froid,
- une petite fille qui avait fréquenté un dortoir de colonie de ski,
- une femme qui avait enlacé son père sur son lit de mort,
- un homme qui a partagé un lit autre que son lit conjugal,
- et quelques personnes pour qui on n'a pas réussi à trouver un contexte propice à leur contamination.
Les causes de cette recrudescence sont mystérieuses. Mon livre de parasitologie annonçait une recrudescence inexpliquée tous les trente ou trente-cinq ans. Il est possible que les difficultés sociales induites par la crise économique aident à sa propagation.
La propagation de la gale fait peu de bruit dans les conversations de comptoir ou de sortie d'école. Il faut dire que les personnes atteintes s'en vantent rarement auprès de leur entourage!
Alors brandir la gale en l'associant systématiquement aux plus précaires comme s'ils en étaient le principal vecteur, l'utiliser pour justifier une évacuation de campement de migrants, c'est agiter le spectre de l'épidémie qui va tout envahir, désigner des boucs-émissaires, et par là faire le lit de toutes les discriminations les plus odieuses.
Messieurs les politiques et les journalistes, cessez de désigner les plus précaires comme source de nos maux!